Sommaire

Introduction
Esquisse biogaphique de Samuel Auguste Tissot
Une œuvre médicale imposante
Présentation du fonds Tissot
Raconter et lire le corps à distance
Observer et décrire le tableau symptomatologique
Examen physique
De la demande de soins à la réponse du soignant : les deux versants de la consultation épistolaire
La pratique de la consultation par lettres
Réseau de clientèle
Échanges épistolaires
Relation soignant-soigné
Requêtes formulées vis-à-vis de Tissot
L’expérience de la maladie : entre vécu personnel et significations culturelles
La culture sanitaire aux siècles des Lumières
Interpréter les maux et les mots
Élaborer une base de données
Bibliographie
A. Sur Tissot, sa pratique et ses écrits
B. Sur les lettres de patients et les consultations épistolaires
C. Sur l’histoire de la maladie et des malades
Notes de bas de page

Introduction



Ce livre accompagne la publication sur le site http://www.chuv.ch/iuhmsp/ihm_bhms d’une base de données intitulée «Archives du corps et de la santé au 18e siècle: les lettres de patients au Dr Samuel Auguste Tissot (1728-1797)» Il peut se lire tout à la fois comme une introduction générale à l’histoire du corps souffrant au 18e siècle, et comme un guide à ce qui constitue aujourd’hui une source documentaire tout à fait inédite et originale, soit la volumineuse correspondance reçue par le médecin suisse Samuel Auguste Tissot (1728-1797) durant la deuxième moitié du 18e siècle. Un tel fonds, conservé à la Bibliothèque cantonal et universitaire de Lausanne, est exceptionnel: il contient près de 1300 consultations épistolaires rédigées par des patients ou leurs proches de l’Europe entière et adressées à l’un des praticiens les plus en vue de son temps, afin de solliciter son diagnostic, ses conseils, ses indications thérapeutiques.


Or, les consultations épistolaires, cette modalité de consultation médicale en vogue dans l’Ancien Régime, et dont le fonds Tissot constitue un exemple particulièrement riche, constituent de véritables archives du corps et de la santé. Résolument tournées vers les situations concrètes des êtres humains aux prises avec la maladie et la douleur, elles conduisent à renouveler l’historiographie de la santé et de la médecine en mettant en évidence les significations que les malades attribuent à leurs maux, les pratiques médicales et sanitaires dans ce qu’elles ont de plus concret ou encore le récit de traitements éprouvés à même le corps. En révélant le témoignage des malades ou de leur entourage, elles documentent les perceptions de la santé, de la maladie et du corps du point de vue des profanes.

Comment la maladie est-elle vécue et interprétée au 18e siècle? Selon quelles modalités exprime-t-on ses maux? Que fait-on pour tenter d’y remédier? Quelles sont les attentes à l’égard des soignants ou de la médecine? Comment se déroulent les consultationsauprès de praticiens? Autant de questions que ces archives permettent d’aborder, en offrant, grâce à cet ouvrage et à la présentation à la fois analytique et synthétique de la base de données, l’accès au contenu extrêmement riche de ces correspondances, ouvrant une perspective inédite sur ce domaine vaste et passionnant que constituent les usages et représentations du corps et de la santé au 18e siècle.






Esquisse biographique de Samuel Auguste Tissot



La présence, dans la correspondance professionnelle de Tissot, de plus d’un millier de demandes de soins provenant de différents pays européens n’est pas sans lien avec sa carrière de praticien et de médecin écrivain, qui lui a valu une réputation d’envergure internationale1. Né en 1728 et décédé en 1797, Samuel Auguste Tissot a en effet acquis une renommée dépassant de loin les frontières helvétiques grâce à la publication de ses ouvrages, dont le succès auprès de l’élite a indéniablement joué un rôle incitateur dans la constitution de son réseau épistolaire.


Originaire de Grancy, dans le Pays de Vaud, Tissot reçoit une instruction élémentaire auprès de son oncle, pasteur de la paroisse de L’Isle. En 1741, il part pour Genève, où il étudie les humanités à l’Académie. Diplômé ès arts en 1745, il se rend à la Faculté de médecine de Montpellier, et suit une formation sous la direction du médecin François Boissier de Sauvages. Son doctorat de médecine en poche, il revient en 1749 dans le Pays de Vaud, lequel se voit bientôt touché par une épidémie de petite vérole (ou variole). Ayant remporté une certaine estime dans sa manière de traiter les malades atteints de cette affection, il est nommé en 1752 médecin des pauvres de Lausanne, ville dans laquelle il s’installe désormais comme praticien. Il débute également une carrière d’auteur, avec la parution en 1754 de ‘L’inoculation justifiée’, où il reprend les idées du médecin genevois Théodore Tronchin en faveur de l’inoculation préventive de la petite vérole.


En 1765, il se voit chargé par les autorités locales de développer un plan visant à améliorer la santé de la population. L’année suivante, il est nommé professeur honoraire de médecine à l’Académie de Lausanne. Le prestige désormais attaché à son nom fait de Lausanne une des capitales européennes de la santé, où accourent alors des personnalités de haut rang, venues solliciter ses conseils. Il reçoit d’ailleurs plusieurs propositions de travail de l’étranger.


En 1781, il se décide à quitter temporairement le Pays de Vaud, acceptant une offre du grand-duc Léopold de Toscane, qui lui octroie une chaire de professeur de médecine pratique à l’université de Pavie. Outre ses activités académiques, il y supervise la conception et la réalisation d’une clinique, visant à promouvoir l’enseignement au lit des malades2. En 1783, il est de retour en Suisse, à Lausanne, où il demeurera jusqu'à sa mort en 1797, se consacrant à sa pratique et à la rédaction de différents écrits.



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Une œuvre médicale imposante



Plusieurs des traités de Tissot ont produit un écho retentissant. ‘L’onanisme’, publié en 1760, suscite une réaction formidable dans le public, et amène nombre d’hommes à recourir à ses conseils. Tissot attribue en effet toute une série de maux et de malaises à la masturbation; édité à plusieurs reprises, cet ouvrage se présente comme une mise en garde contre les risques sanitaires de cette pratique.


Quant à l’’Avis au peuple sur sa santé’, paru en 1761, il remporte un succès sans précédent pour un ouvrage de vulgarisation médicale, et connaît de multiples rééditions et traductions du vivant de son auteur. À en croire le médecin français Marc-Antoine Petit, contemporain de Tissot, ce livre se trouve alors «partout, à la ville, à la campagne, sur la table du scavant, sur celle du pauvre, et jusque dans les boudoirs »3.


Dans sa préface, le praticien lausannois précise le public visé par cette publication: «Le titre d’‘Avis au peuple’ n’est point l’effet d’une illusion qui me persuade que ce livre va devenir une pièce de ménage dans la maison de chaque paysan», écrit Tissot, «les dix-neuf vingtième ne sauront sans doute jamais qu’il existe, plusieurs ne sauraient pas le lire; un plus grand nombre, quelque simple qu’il soit, ne le comprendraient pas»; l’auteur le destine avant tout «aux personnes intelligentes et charitables qui vivent dans les campagnes, et qui, par une espèce de vocation de la Providence, sont appelés à aider de leurs conseils tout le peuple qui les environne »4.


Selon Tissot, il s’agit de fournir quelques règles d’hygiène et de pallier le manque de médecins dans les campagnes, où le peuple a fréquemment recours à des guérisseurs ou à des meiges sans formation reconnue. C’est encore une préoccupation éducative et préventive qui l’anime quand il publie, en 1768 et en 1770, deux opuscules à l’attention de l’élite intellectuelle et sociale, respectivement ‘De la santé des gens de lettres’ et ‘Essai sur les maladies des gens du monde’. Il y lance un avertissement à l’encontre des «travaux d’esprit» trop soutenus, menés au détriment de l’activité physique; prônant constamment un mode de vie simple et naturel, éloigné du luxe et de l’oisiveté, il s’efforce de réformer les conduites urbaines, en particulier la sédentarité et les excès alimentaires. Ces deux ouvrages, dont la parution a été remarquée, sont régulièrement mentionnés par les auteurs des consultations épistolaires, eux-mêmes pour la plupart issus des rangs socioculturels privilégiés.


La plus grande entreprise éditoriale du médecin lausannois, qui, bien qu’inachevée, lui vaudra l’estime de la communauté médicale et de la «République des Lettres», est son ‘Traité des nerfs et de leurs maladies’. Publiés entre 1778 et 1780, ces trois tomes de nature théorique traitent des causes et des moyens curatifs propres aux «maux de nerfs», dont il est précisément question dans nombre de consultations épistolaires qui lui seront adressées.






Présentation du fonds Tissot



La plus grande partie du fonds Tissot est conservée au Département des manuscrits de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL), sous la cote IS3784. Déjà catalogué en 1853, ce fonds est constitué de nombreux manuscrits et d’une riche correspondance. Classé par Adrien Brienne (1816-1881), médecin et député au Grand Conseil vaudois, le fonds a été augmenté, en 1907, de la correspondance reçue par Tissot pendant son séjour à Pavie, acquise par la BCUL auprès du Dr Léon Chavannes. Il convient encore de signaler que la Bibliothèque publique et universitaire de Genève (BPUG) renferme deux volumes de plusieurs centaines de manuscrits et pièces épistolaires de la main de Tissot, tandis que la Bibliothèque des Bourgeois de Berne (Burgerbibliothek Bern) conserve la plus grande partie de la correspondance échangée entre le médecin vaudois et Albert de Haller.


Le fonds Tissot conservé à la BCUL contient deux parties distinctes. La première, qui s’étend des cotes IS3784/I/1 à IS3784/I/130.34, recèle principalement les versions manuscrites de ses publications médicales. On y trouve aussi des écrits médicaux d’autres auteurs, parfois annotés de sa plume5. La seconde partie du fonds, inventoriée au début des années 1990 par l’historien Daniel Teysseire6, est constituée de pièces de correspondance de natureprivée, scientifique et professionnelle. L’ensemble des lettres classées entre les cotes IS3784/II/131.1 et IS3784/II/143.23 contient un nombre important de missives personnelles; on y trouve aussi des échanges scientifiques destinés à des confrères ou à des savants. Les consultations relatives à des malades et à leur prise en charge thérapeutique sont relativement marginales, raison pour laquelle cet ensemble n’a été examiné que de façon sélective. Par contre, les demandes de soins foisonnent dès la cote IS3784/II/144.01, partie du fonds dans laquelle sont rassemblés la grande majorité des documents épistolaires liés à la pratique professionnelle du médecin. Cette portion du corpus a donc été systématiquement dépouillée et saisie dans la base de données, même si quelques documents ne constituent pas à proprement parler des consultations épistolaires mais abordent des sujets théoriques. Un affinage de la cotation a été établi, conduisant à introduire des sous-numérotations supplémentaires pour distinguer chaque pièce de correspondance.



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Raconter et lire le corps à distance



Comment la consultation écrite pouvait-elle constituer un moyen possible pour solliciter et obtenir des conseils thérapeutiques? De quelle manière parvenait-on à déchiffrer le corps à distance? Au 18e siècle, le jugement diagnostique passe moins par l’examen physique que par la prise en considération des symptômes. L’élucidation d’une pathologie ou d’un trouble implique prioritairement un compte rendu du ressenti des malades intégré dans une histoire personnelle et mis en regard avec les caractéristiques propres à chaque individu et à son mode de vie. Selon la culture médicale de l’époque, une affection est en effet principalement déchiffrable par son contexte d’apparition et son évolution; une bonne compréhension de son déroulement fournit les clés de son énigme. De fait, cette perception de la maladie est visible dans la plupart des consultations adressées à Tissot.


Ainsi, Madame Bataillard, qui consulte au sujet de son mari, se propose de raconter deux «accidents effrayants» survenus récemment. Le premier se produisit le 15 janvier dernier. Après un souper où il avait peu mangé, se sentant sans appétit, Monsieur Bataillard fut «saisi d’un mal de cœur considérable», suite auquel il vomit tout son repas et du sang «comme deux bouchées»7.
Fiévreux et avec un pouls élevé, le malade se mit au lit. Après une douzaine de jours, où il s’efforça de prendre du repos, il commença à se sentir mieux. Mais cette rémission devait durer à peine plus de deux mois. Le 13 mars, un second «accident» survint. L’auteure explique la manière dont se déroula cet épisode, avant de revenir sur des événements antérieurs, susceptibles de fournir une explication. Elle indique que son époux a été sujet, il y a vingt ans de cela, à un flux hémorroïdal, qui revenait tous les mois et durait de trois à quatre jours. Cet écoulement a récemment été supprimé, ce qui, selon Madame Bataillard, pourrait avoir quelque rapport avec les troubles dont le malade se plaint. Selon la culture sanitaire de l’époque, des interruptions brutales ou inappropriées de tout flux excrétoire étaient en effet susceptibles de déclencher une affection. Les modèles du corps qui prévalaient alors reconnaissaient au contraire une action généralement bienfaisante aux évacuations de toute sorte, dont la fonction était envisagée comme libératrice ou purificatrice.


D’autres éléments significatifs sont intégrés de manière récurrente aux récits des maux, notamment des «passions de l’âme» – chagrin, frayeur ou encore colère – à la suite desquelles une altération de la santé aurait été remarquée. Les mouvements de joie et de tristesse constituent en effet des éléments essentiels à communiquer au praticien pour déterminer l’origine des maux aussi bien que leur nature. Le comte de La Porte suggère par exemple un lien possible entre ses «maux de nerfs» et le deuil de son épouse.

«Il est bien vrai que lorsque je perdis ma femme, je versois beaucoup de larmes, que mon cerveau dut être arrosé de beaucoup de sérosités, mais seroit-ce aussi de là que vient ces embarras que j'ai dans mes idées et dans mes mouvemens à la partie droite ?» 8






Observer et décrire le tableau symptomatologique



Les informations relatives à l’histoire des malades et de leur affection se voient généralement complétées par une série d’indications descriptives relatives à l’état du corps. Notion centrale de la médecine des Lumières, l’observation permettrait de se préserver, selon la culture de l’époque, des préjugés dogmatiques; à ce titre, elle serait à l’origine de l’empirisme caractéristique de la science moderne.


Le regard se porte notamment sur l’apparence extérieure des malades. Ainsi, Monsieur de Jungkenn évoque son poids et sa corpulence.

«Je ne suis pas maigri encore; j’ai beaucoup d’embonpoint, mais si je ne me trompe pas, je crois m’apercevoir que la peau et la chair sont peu ferme, mais molle et flasque9

Monsieur Gochuat n’hésite pas à entrer dans les détails.
«Avant ma maladie, je pesois 132 livres environ; en sortant des bains de Niederbrunn 118 livres; trois semaines après, à la fin du moins de juin, 117 livres, et actuellement 116 livres10

Le capitaine Herbelot dirige, quant à lui, son attention sur le visage:
«Le bas de l’oreille se couvre de farineux qui s’attachent aux doigts, et le haut devient comme un parchemin racornie, d’une couleur blanchatre; cette peau calcinée tombe ensuite et est remplacée par une autre, qui à son tour se racorni, et tombe de meme. La peau du front est seiche et aride […]11

Le Chevalier de Rotary dresse de lui un portrait très complet.
«J’etois deja maigre; je le devins davantage; je suis blond, et j’ai encore le teint assés blanc pour un homme de 45 ans; je devins un peu jaune; la carnation de mes mains et de mes jambes, qui etoit assés animée, palit […]. J’ai cinq poids, sept pouces [de grandeur], la poitrine ouverte, les epaules effacées, l’equarure mediocre […]12

À ces descriptions détaillées s’ajoutent fréquemment des indices témoignant de phénomènes intérieurs: les auteurs s’efforcent d’aller au-delà des impressionsde surface, en étudiant visuellement les diverses excrétions corporelles, qu’elles soient survenues spontanément ou provoquées à la suite de traitements évacuants tels que purgatifs, vomitifs ou saignées. Selon la maladie suspectée, on inspecte urines, selles, expectorations, sueurs, vomissements, hémorragies et autres écoulements.


Madame Roquefeuil, qui consulte au sujet des difficultés de miction de sa sœur, précise que les urines sont peu colorées mais chargées de dépôt13. Requérant des soins pour son épouse, qui connaît des accès de toux et une irritation de la gorge, Carlo Ghilini décrit l’aspect sanguinolent et purulent des expectorations14. Monsieur Clavière qualifie les selles de sa fille de «bien moulées et naturelles», mais contenant parfois des aliments mal digérés15. Un malade juge ses urines troubles et rougeâtres, surtout le matin et le soir; elles contiennent en outre des sédiments16. Un autre relève que les siennes laissent «au fond du vase une espéce de sable d’un rouge-jaune »17.



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Examen physique



En dépit de cette masse d’informations, il arrive que le récit des maux n’atteigne pas un niveau de précision suffisant et qu’un examen physique s’impose pour poser un diagnostic. Héritage de l’Antiquité, la prise du pouls se fait couramment; on en apprécie principalement sa régularité, sa rapidité ou son amplitude. Deux épouses veillant sur leur mari malade croient y déceler de «l’émotion18», tandis qu’un mari consultant pour sa femme le décrit comme «vaporeux», mais rarement fiévreux19. Un père prend le pouls de sa fille et le déclare «petit et irrégulier20».


À l’occasion, on effectue également certaines investigations plus spécifiques: utérines21, vaginales22, urétrales23, ou rectales24. Elles sont fréquemment réalisées par des chirurgiens, qui se munissent parfois d’instruments comme le spéculum ou la sonde, mais les médecins pratiquent également à l’occasion divers examens physiques. Le Dr Berguer indique par exemple qu’il n’a trouvé aucun obstacle dans le colon de son patient. Quant au Dr Deberge, il mesure le degré d’inflammation d’une de ses malades en pressant le doigt sur les parties enflées et en comptant le temps nécessaire à la disparition de l’empreinte digitale25. Craignant un état hydropique, un médecin italien a effectué une percussion de l’abdomen, pour vérifier l’éventuelle présence de liquide26.


Les malades intègrent parfois des constats tirés de l’examen du corps dans leur exposé, qu’il s’agisse d’investigations menées par des soignants ou, plus rarement, de procédures exploratoires qu’ils ont eux-mêmes conduites. Ainsi une femme craignant un cancer du sein a procédé à une palpation mammaire, constatant des tumeurs «ramassées au fond des seins27».


De manière générale, les lettres de patients témoignent d’une bonne maîtrise du langage médical: en majorité issus de l’élite cultivée, les auteurs ont parfois parcouru des manuels de vulgarisation ou acquis des connaissances empiriques, s’appropriant certaines notions et se forgeant une culture sanitaire qui leur permet de proposer des interprétations de la maladie.






De la demande de soins à la réponse du soignant: les deux versants de la consultation épistolaire



Échanger questions et conseils thérapeutiques par l’intermédiaire du courrier, telle est la principale fonction de la médecine par lettres. Cette pratique implique deux phases essentielles. La rédaction de la demande, comprenant le compte rendu le plus complet possible de l’état passé et présent du malade, marque la première étape, celle de la ‘consultatio’. Une fois le document acheminé vers son destinataire et après l’élucidation du tableau morbide, se noue le second moment, celui du ‘consilium’, à savoir la réponse du soignant consulté; ce dernier contient une interprétation – sous la forme d’un diagnostic, d’un commentaire étiologique ou d’un pronostic – généralement assortie d’une prescription. ‘Consultatio’ et ‘consilium’ forment ainsi les deux versants de la consultation épistolaire.


Il arrive fréquemment que la requête initiale (‘consultatio’) soit signée par un soignant, en général le praticien ayant assuré l’encadrement thérapeutique du patient jusqu’au moment où il soumet le cas au jugement d’un confrère. Il peut s’agir d’un médecin, d’un chirurgien ou de tout autre conseiller thérapeutique. Le contenu, la forme et le ton de la ‘consultatio’ permettent aisément de la différencier du ‘consilium’: si la première est avant tout descriptive, le second s’apparente davantage à une démonstration et à une argumentation, visant à légitimer le diagnostic et l’ordonnance.


Le terme latin de ‘consilium’ renvoie aux avis établis par une ou plusieurs personnes qualifiées, faisant figure d'autorité. Si la qualité d’expert thérapeutique est le plus souvent attribuée à des professeurs ou à des sommités de la médecine et de la chirurgie, d’autres praticiens peuvent être identifiés comme tels par la population, bénéficiant d’une reconnaissance informelle.


Ainsi, les curés et pasteurs, traditionnels relais de soins, se voient parfois sollicités comme véritables prestataires de secours, collaborant avec des chirurgiens de campagne ou palliant momentanément une offre médicale réduite. Dans les consultations épistolaires du fonds Tissot, on les voit surtout intervenir au niveau de la ‘consultatio’, participant à l’élaboration de la narration soumise au médecin ou prêtant leur plume à des malades démunis, voire analphabètes28. Ils jouent alors le rôle d’intermédiaire social entre le célèbre praticien vaudois et des individus d’origine modeste faisant partie de leur paroisse.


Une proportion relativement importante de ‘consilia’ font suite à une visite médicale traditionnelle, en face à face. La consultation médicale rendue par le chirurgien genevois Louis Jurine indique clairement qu’il y a eu un examen physique approfondi, dont l’auteur a tiré une série d’observations.

«J’ai vu Monsieur Autran environ huit jours après l’exécution des ordonnances de Monsieur Tissot. J’ai remarqué une dilatation très forte dans l’arc du colon, déterminée par une accumulation d’air dans cet intestin. Cette tympanite locale etoit si considérable qu’elle se communiquoit à l’esthomac, occasionnoit des hoquets presque constants, et parfois des vomissemens. L’air contenu dans cet intestin s’inflitroit pour ainsi dire dans le tissu cellulaire de l’abdomen, mais uniquement dans la partie superposée au colon, de manière à faire sentir l’espéce de crépitation qui est particulière aux emphysèmes.»29

La consultation médicale rendue par l’Abbé Desmonceaux au sujet de Monsieur Septier fait, quant à elle, suite à une double investigation. Officiant en tant que soignant, l’ecclésiastique a vu et entendu le malade, avant d’étudier un mémoire rendant compte de l’histoire de ses maux30.


Il arrive également que des patients complètent le discours qu’ils ont prononcé oralement devant leur médecin en rédigeant un rapport écrit. C’est ce que choisit de faire Monsieur Chassot, étudiant en théologie, qui prend la plume peu de temps seulement après avoir rencontré Tissot en face à face.


«Oubliant toujours de vous exposer les différentes choses qui ont caractérisé ma maladie, j’ai pris la résolution, pour m’affranchir des differentes inquietudes qu’un malade s’est [sait] si bien se faire, de mettre par ecrit les principaux evenements qui m’ont peinés31

D’autres malades agissent dans l’ordre inverse, composant une sorte d’aide-mémoire avant de rencontrer leur praticien. Multipliant les précautions afin de n’omettre aucune information, la comtesse Rové de Pica a soigneusement préparé son texte, qu’elle a ensuite déclamé devant Tissot, et dont elle lui réexpédie une copie pour qu’il en conserve bonne note pour la suite du traitement.

«Je vous envoie», écrit-elle «le meme papier que je vous ai lù […] pour vous instruire des infirmités32

La présence archivistique de ‘consultationes’ ou de ‘consilia’ ne signifie donc pas nécessairement l’absence d’entrevue en face à face. Nombre d’échanges de courrier ont été précédés par un rendez-vous initial ou se voient temporairement suspendus le temps d’une visite au cabinet ou au domicile du patient. Le déroulement de la maladie et la manière dont les symptômes sont perçus exercent une influence décisive sur le cours de la relation épistolaire, rythmant son suivi et ses interruptions.



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La pratique de la consultation par lettres



L’étude des origines de la consultation épistolaire se heurte à maintes difficultés, car rares sont les fonds inventoriant précisément les requêtes ou ‘consultationes’ adressées aux soignants. L’autre versant de la relation épistolaire, à savoir les ‘consilia’, a toutefois bénéficié d’un meilleur traitement archivistique. Émanant souvent de figures médicales célèbres, ces documents ont été conservés pour l’intérêt pédagogique ou historique qu’ils peuvent représenter.


Si le corpus hippocratique recèle de nombreuses histoires de malades, celles-ci ne sauraient être qualifiées de ‘consilia’ à proprement parler. Les récits contenus notamment dans les ‘Épidémies’33 sont avant tout descriptifs, voués à l’observation de l’évolution des maladies et visant prioritairement l’énoncé d’un pronostic. Les premières traces de médecine par lettres remontent au 2e siècle. Dans son traité ‘De locis affectis’, Galien évoque en effet des conseils thérapeutiques prodigués à des patients trop éloignés géographiquement pour bénéficier d’une visite en face à face.


«J’ai guéri par lettres des individus vivant en pays étrangers […] sans les avoir vus. J’ai reçu de l’Ibérie, de la Celtique, de l’Asie et de la Thrace des lettres où l’on me priait d’envoyer quelque médicament […]. Je demandai qu’on m’informât d’abord si l’affection datait d’un temps éloigné, et je réclamai les autres indications […]34

C’est durant le 13e siècle que la pratique de la consultation par lettres se développe, d’abord dans le nord de l’Italie35 puis sur le continent européen. Parmi les premières sources retrouvées en territoire francophone, on peut mentionner une consultation médicale de Pierre de Capestang, «maître de médecine» de Montpellier, composée autour de l’an 1300, pour un malade craignant la paralysie36.


La consultation écrite concerne également le domaine de la chirurgie, comme en atteste le traité que le célèbre chirurgien français Henri de Mondeville consacre à son art dans les années 1310.


«On nous demande fort souvent conseil, à nous chirurgiens, sur le traitement de maladies que nous n’avons pas vues, ni ne pouvons voir, à cause de l’absence et de l’éloignement des malades qui ne peuvent être transportés commodément, tandis que nous ne pouvons non plus nous rendre facilement auprès d’eux […]. Dans les maladies faciles à guérir, dans les petites plaies récentes, par exemple dans les furoncles, apostèmes, légères contusions, etc., on peut donner une prescription curative à des personnes absentes.[…] Encore ne suffit-il pas au chirurgien de connaître l’état présent d’une maladie et d’un malade, il lui faut en plus connaître l’état passé et toute la marche de la maladie, et comparer l’un avec l’autre. Ceci ressort de l’autorité de Galien […]37

Relativement bien documentés pour les 17e et 18e siècles, les ‘consilia’ chirurgicaux38 accordent une grande attention à l’histoire du malade et de ses maux, ainsi qu’aux observations minutieuses du corps, qui prennent d’autant plus d’importance quand il s’agit de dépeindre l’état d’une blessure, l’apparence de la peau ou la forme d’une fracture39.


À partir du 17e siècle, la pratique de la consultation épistolaire s’intensifie en raison des progrès en matière d’alphabétisation et de l’extension des voies régionales de communication. De manière générale, la médecine par lettres demeure toutefois relativement restreinte en ce qui concerne les petites agglomérations. Le Dr Pellisier, qui exerce à Saint-Remy de Provence dans les années 1760, n’effectue qu’une seule consultation à distance durant toute une décennie40. En revanche, les médecins de grande réputation établis dans des villes importantes sont fréquemment sollicités par voie épistolaire.


La tradition de la consultation écrite se poursuivra, dans une moindre mesure, jusqu’au 19e siècle; une illustration en est la correspondance du Genevois Jean-Pierre Maunoir, chirurgien et oculiste41. De tels exemples deviennent toutefois plus rares dans le champ de la médecine allopathique, et plus encore de la chirurgie. De fait, c’est surtout au sein de l’homéopathie, qui connaît un grand succès auprès de la population dès la première moitié du 19e siècle, que la médecine par lettres va perdurer42. Entre 1831 et 1862, Samuel Hahnemann, fondateur de cette école de pensée médicale, reçoit plusieurs milliers de demandes de soins auxquelles il répond par le truchement du courrier43.


Parmi les sources contemporaines du fonds Tissot, il convient de mentionner la correspondance professionnelle de deux confrères suisses: celle du célèbre médecin et naturaliste bernois Albert de Haller, conservée principalement à la Burgerbibliothek de Berne44, et celle de Théodore Tronchin, praticien réputé ayant exercé tant à Genève qu’à Paris45.






Réseau de clientèle



Jusqu’à la fin du 18e siècle, les patients recourant à la consultation épistolaire se recrutent en majorité dans les sphères influentes de la société, principalement au sein de l’aristocratie, du clergé et des hauts officiers de l’armée.


La correspondance de Tissot procure relativement peu d’indications relatives aux caractéristiques sociodémographiques des malades. Si l’on peut établir qu’hommes et femmes sont représentés dans des proportions pour ainsi dire équivalentes, leur situation sociale est beaucoup moins claire. Pour environ 90% d’entre eux, on ne dispose d’aucune information relative au niveau d’éducation. Les autres, généralement des hommes, ont suivi des études universitaires, étudié dans un collège, reçu une éducation dans un couvent, ou bénéficié de cours particuliers auprès de maîtres ou de précepteurs.


Dans près de 70% des cas – proportion qui est encore plus élevée pour le sexe féminin – on ignore tout des occupations des malades. Parmi les professions ou métiers mentionnés dans les sources, on trouve plus de soixante-dix hommes militaires ou anciens militaires, parmi lesquels plusieurs nobles, ainsi qu’une trentaine d’ecclésiastiques, dont une douzaine d’abbés. Près d’une trentaine de patients font partie des «gens de lettres», autrement dit des savants ou des individus occupés à des «travaux d’esprit», et un nombre considérable de malades appartiennent à la catégorie des «gens du monde», parmi lesquels des nobles parfois très célèbres, dont plusieurs fréquentent les cours royales.


En ce qui concerne les autres patients, plus d’une vingtaine occupent des fonctions en rapport avec la justice, dont bon nombre d’avocats; une proportion comparable exerce une fonction politique – conseiller, consul, parlementaire notamment – tandis que plusieurs sont fonctionnaires publics: forestier, douanier ou encore gendarme; une dizaine d’individus disent simplement être «dans les affaires», en particulier la gestion et le négoce, alors qu’un nombre semblable travaille dans des métiers de l’artisanat: horloger, orfèvre, sellier et carrossier notamment.


Quant aux femmes, plusieurs d’entre elles remplissent une «fonction à la cour», en tant que dames d’honneur, «dames d’atour» et comédiennes du roi. Plus bas sur l’échelle sociale, elles sont quelques-unes à remplir des fonctions telles que servante, jardinière ou couturière.


Il est relativement difficile d’estimer le niveau de fortune des patients de Tissot. Sans conclure à une véritable opulence, on peut toutefois déduire une certaine aisance matérielle pour la plupart d’entre eux, déduction fondée sur des allusions au train de vie: fréquents voyages, séjours de villégiature, précepteurs privés, présence d’un important personnel domestique notamment.


Seule une petite minorité de patients doivent être considérés comme modestes. Leurs situations sont cependant très diverses: certains ont un statut d’étudiants; d’autres ont fait vœu de pauvretéaprès être entrés dans les ordres religieux; plusieurs ont connu des déconvenues financières. En résumé, les individus provenant de milieux défavorisés demeurent excessivement rares, et il s’agit pour la plupart d’employés au service de riches familles; ce sont alors leurs maîtres ou patrons qui prennent l’initiative de recourir aux conseils de Tissot.

De fait, la consultation épistolaire est généralement réservée aux patients disposant de moyens financiers considérables, d’autant que les honoraires sont en moyenne deux fois plus élevés que ceux habituellement demandés pour une visite médicale en face à face46. On estime en effet que le soignant doit y consacrer davantage de temps puisqu’il lui faut rédiger une réponse écrite.



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Échanges épistolaires



À l’image de nombreuses correspondances, le fonds Tissot ne contient qu’un versant de l’échange de lettres, soit les documents qui sont parvenus au médecin. Il ne subsiste pratiquement pas de pièces émanant de ce dernier, dès lors qu’elles ont été retournées à ses interlocuteurs.


Il arrive néanmoins que des individus le consultant à une nouvelle reprise lui fassent parvenir la copie de ses courriers antérieurs, afin de lui rappeler les traitements déjà recommandés. Monsieur Lasseire, qui consulte pour son fils âgé d’une dizaine d’années, s’ingénie à fournir un historique aussi complet que possible de la situation. Pour ce faire, il joint à sa lettre une réplique des prescriptions du médecin lausannois.


«Voilà l’histoire fidelle de la maladie de l’enfant […], selon son origine [et ses] progrès […], avec les deux ordonnances de Monsieur Tissot47

Le même dessein anime Madame de Vilieu de Laval, qui croit nécessaire de remémorer le détail de ses maux et de leur prise en charge.


«Une absence d’environ deux ans et demi […] est plus que suffisante pour vous faire oublier jusqu’à la moindre notion de mon temperament et de mes forces48

Le dossier de Monsieur Vauthier mérite d’être parcouru de manière plus approfondie, puisqu’il est l’un des rares à offrir les deux faces de la consultation épistolaire, à savoir la demande du malade et la réponse du soignant. On peut donc y suivre différentes étapes de l’interaction soignant-soigné.


Le premier courrier, daté du 9 août 1771 et expédié de Vesoul, est signé par le malade lui-même. Il fait probablement suite à une précédente consultation, car l’auteur donne de ses nouvelles sans commencer par un exposé préalable. Il a suivi, écrit-il, le régime préconisé par Tissot, mais il n’a pas pu débuter le mercure et la saponaire aussi tôt que prévu, faute d’en trouver à temps. Si le régime a apaisé ses douleurs, les remèdes ont par contre provoqué des diarrhées. De plus, les ventouses «prennent» difficilement, en raison de la maigreur de ses cuisses. Sa faiblesse ne lui permet guère de se livrer à l’exercice, lui laissant simplement faire «quelques tours» dans sa chambre. Il n’a plus de maux de tête, mais se plaint d’une légère «pesanteur» au niveau de l’estomac. Monsieur Vauthier termine sa lettre par ces propos:


«Quoique foible, je me sens encore du courage de teste et de raison pour suivre exactement vos ordres, Monsieur; j’ay mis ma totale confiance et mon esperance en vous. J’ay l’honneur de vous supplier une reponce tant courte que vous voudrés, Monsieur, aussitôt que vos momens le permettront; elle me soutiendra pour continuer49

Bien que soulignant à quel point il est prêt à tous les efforts pour suivre les prescriptions, le patient admet avoir déjà effectué de lui-même quelques ajustements thérapeutiques, réduisant les activités physiques qui lui avaient été ordonnées en raison de sa faiblesse. C’est dans ce genre d’interaction que se mettent en scène les jeux subtils de négociation et de persuasion entre soignant et soigné. À cette requête, Tissot répond par le courrier suivant.


«18 septembre 1771, Je vois avec grand plaisir, Monsieur, que vous estes mieux, et le mieux me paroit assés sensible pour me persuader que vous pourrés entierement vous remettre, ce que je n'esperois que bien foiblement il y a dix semaines. Le regime et les remedes réussissent si bien que je me ferois de la peine de rien changer; seulement je vous accorde tous les jours une soupe ou bouillon, comme vous faisiés précédemment. Quant au lait d'anesse, nous le laisserons pour le moment, mais vous continuerés jusqu'au milieu de novembre le mercure, la tisane, et les lavemens. Alors vous quitterés tout, en finissant par une purgation, avec encore du sel de Glauber et deux onces de manne dans un verre d'eau. Depuis lors, vous vous reposerés six semaines. Les huit premiers jours de janvier, fevrier et mars, vous reprendrés le mercure, la tisane et le lavement, et à la fin de mars, vous m'instruirés de votre etat; votre lettre me décidera sur ce que vous aurés à faire pour recouvrer toute votre santé.»

Obéissant à l’injonction du médecin lausannois, qui souhaite des nouvelles, Vauthier prend la plume dès le 5 avril. Il décrit son histoire depuis le mois d’octobre dernier, indiquant qu’il a eu une «fonte d’humeur», accompagnée de diarrhée, ce qui l’a considérablement fatigué. Il décide alors de prendre du repos pendant les mois de novembre et de décembre. En conformité avec les prescriptions de Tissot, il reprend du mercure et de la saponaire au cours des mois de janvier, février et mars. Son état ne semble toutefois pas satisfaisant. Il se sent dans un profond état d’abattement et d’affaiblissement. Ses jambes sont d’une maigreur extrême, «n’ayant pour ainsy dire plus de chaire aux fesses et cuisses, ainsy que dans les jambes, ce qui ne me permet pas de marcher, meme dans la chambre avec un baton». Après avoir décrit dans le détail ses symptômes actuels, l’auteur termine par ces mots.


«Quelqu’un m’a conseillé le baume de vie de Monsieur Le Lievre, mais ma confiance en vous, Monsieur, me fait attendre votre ordonnance, que je vous supplie de m’accorder, et de vouloir bien me diriger pour le régime […]50

Vauthier attendra longtemps la réponse de Tissot, trop à son goût, puisque le 15 mai 1772, il expédie un nouvel envoi, avant d’avoir reçu un quelconque signe de la part du praticien. Il précise d’ailleurs que sa missive précédente contenait un louis d’or en guise d’honoraires; cherchant peut-être à rappeler qu’il s’est acquitté de son dû, il espère que son interlocuteur en fera de même et poursuivra ses soins. Le malade n’est toutefois pas resté sans secours durant les dernières semaines. Toujours excessivement fatigué et craignant un «affaissement de la machine», il a recouru aux services d’un soignant, lequel l’a «taté», et a découvert une dureté près du foie. Sa demande, qu’il exprime à la fois en ouverture et à la fin de sa lettre, est relativement précise. Il aimerait pouvoir regagner des forces et retrouver une certaine aisance de mouvement.


«Je viens vous renouveller, Monsieur, ma priere de vouloir bien m’indiquer ce que vous croirés convenable à mon rétablissement, du moins pour recouvrer des forces à pouvoir marcher et sortir; […] [j’attends] la réponse que je vous supplie, Monsieur, de bien me vouloir faire […]51

La réponse que Tissot rédige finalement le 2 juillet vient pondérer les espoirs du malade. Il y a peu de chances pour que les difficultés de locomotion disparaissentcomplètement.


«L'ancienneté du mal diminue baucoup l'esperance d'un soulagement considerable; cependant, elle ne le rend pas absolument impossible, et les moÿens que je crois les plus propres à l'operer sont.
1) Un regime doux et simple; on doit eviter toutes les patisseries, graisses, fritures, salé, viandes noires, crémes, ragouts, fromages, acides, thé, caffé, vins, liqueurs, pour ne vivre que de viandes tendres et légumes, surtout de chicorée, de fruits très mûrs, et quelques soupes farineuses et d'eau.
2) Un très long usage de mercure doux, qui est le rémede le plus propre à résoudre les engorgemens […]; il faut qu'il soit sublimé sept fois, et préparé avec le plus grand soin; […].
3) On boira tous les matins, en six verres, d'heure en heure, le premier par-dessus le mercure, 24 onces de tisanne de graines de saponaire […];
4) On prendra tous les huit jours un lavement avec une decoction de mauve, et deux onces de catholicum.
5) On se fera d'abord appliquer six ventouses scarifiées sur une cuisse, et autant le landemain sur l'autre; on les mettra sur les parties les plus souffrantes; on réiterera cette operation de quinze en quinze, pendant deux mois; on peut laisser fermer le cauterre au bout de 18 à 20 jours d'usage des remedes52

Si les réponses ‘in extenso’ de Tissot n’ont guère été conservées, il est toutefois possible d’en reconstituer certains éléments grâce aux annotations que le médecin a laissées en marge de nombreux documents. Souvent écrites dans un style elliptique, probablement en cours de lecture, ces notes contiennent généralement un diagnostic, une hypothèse étiologique ou encore des prescriptions thérapeutiques. Ainsi, au bas de la lettre signée par Madame Depoirresson Dureville, le médecin lausannois écrit.


«15 janvier 1774; colique menstruelle; regime doux; demi-bains tiedes, de cinq en cinq jours; bouillons de poulet et de chicorée; saignée le premier et le deuxième jour de la première attaque; à la deuxième [attaque], saignée puis sangsues; puis sangsues de quinze en quinze; cataplasmes emollients dans l’accès; et infusion de fleurs de pavot rouge avec nitre et sirop d’althea.53»


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Relation soignant-soigné



Plusieurs indices permettent de reconstruire les différents épisodes ponctuant l’interaction entre Tissot et ses patients. La lettre de Monsieur Marchand a par exemple le mérite de mettre en évidence l’intervention de tiers dans la procédure de payement des honoraires.


«Je suis chargé», écrit l’auteur, «de la part de Monsieur Torchon Defouchet […], [domicilié] près [de] Peronne, en Picardie, de vous faire parvenir quarante-huit livres pour la consultation […]. Je me suis adressé à Monsieur d’Huitte, négociant à Paris, qui m’a promis que vous recevriez cette somme de quarante-huit livres par Messieurs Thiery l’Ainé & Cie, négociants à Mulhouse. Si vous connaissez une occasion plus commode pour vous faire parvenir l’argent, je vous prie de l’indiquer à Monsieur Torchon […]54

Une missive expédiée d’Aubonne par un dénommé Abraham Michaud marque, quant à elle, la conclusion de la relation thérapeutique, puisqu’elle consiste en une expression de gratitude suite au rétablissement d’un malade.


«J’auroit crut manquer à mon devoir si je ne vous avoit donné des nouvelles de mon fils, vû la grande complaisance et la charité cretienne que vous avé toujours eu en partage vis-à-vis d’un chacun, principalement à l’egard des malades qui ont eu le bonheur de recevoir vos conseils charitables. J’ai l’honneur de vous dire, Monssieur, qu’après Dieu, c’est à vous à qui je suit redevable du retablisement de mon fils, qui a commencé hyer mattin à se reconoitre et à rétablir sa première santté […]. Soyés persuadé que je souhaitteroit de tout mon cœur de pouvoir vous en témoigner ma juste reconnoissance […]55

Cette allusion aux sentiments de gratitude à l’égard du médecin est particulièrement bien illustrée dans une lettre collective adressée par les habitants d’un village, document qui souligne la dimension communautaire de la maladie.


«Nous n’oublierons jamais que depuis sept ans, la plus jeune des filles de notre bon seigneur n’etoit qu’un spectre embulant qui inspiroit la pitié et l’effroit. C’est vous qui lui avez rendu une ame […]. Ce bienfait vous a acquis, Monsieur, la reconnoissance de toute la contrée. […] En rendant la vie à la plus jeune de nos demoiselles, vous l’avez donné à tout le village. Nous voudrions bien vous montrer notre joie. Que le ciel vous benisse, qu’il vous conserve longtems sur la terre pour faire partout autant d’heureux que vous en avez fait ici56





Requêtes formulées vis-à-vis de Tissot



Les demandes de soins sont parfois articulées de façon indirecte. Ainsi, il arrive que le médecin lausannois se retrouve en possession de consultations épistolaires qui, bien que ne lui étant pas formellement adressées, ont néanmoins été rédigées dans le but de requérir son jugement et ses recommandations. La lettre de Monsieur Bouju, domicilié près d’Angers, en constitue une illustration. S’adressant à la comtesse de Lanion, il narre les souffrances qu’il endure en raison de son «humeur rhumatismale», avant d’ajouter:

«Je devrais vous en epargner le detail, mais vous n’aimés pas les cachoteries de la part de vos amis. D’ailleurs, Monsieur Tissot peut jetter un coup d’œil sur ma lettre, et peut-être verra-t-il mieux de cent lieurs, [ce] que nos medecins ne voyent […] sous leur nés57

Quant à la comtesse Louise de Werthern, de Nassau, elle juge sans doute qu’elle a déjà trop importuné Tissot, puisqu’elle n’ose plus s’en remettre une nouvelle fois à ses conseils. Elle envoie donc une lettre à sa tante de Lausanne, le baronne de Steinberg, avec mission d’intervenir en sa faveur auprès du praticien.


«Pardon, je vais vous faire une jérémiade; je n’ai pas le courage de l’addresser à Monsieur Tissot; daignés lui parler un jour de tout ce qui occasionne mes plaintes, et engagés-le à y porter remède58

Certains courriers, quoique explicitement destinés à Tissot, peuvent également être considérés comme des sollicitations indirectes. Qu’on songe à toutes les lettres où des patients ou des proches dépeignent un tableau symptomatologique inquiétant, sans formuler de réelles requêtes, mais en exprimant angoisse et désarroi. Monsieur de Jungkenn va jusqu’à faire allusion à sa propre mort.


«J’aime la vie, Monsieur, c’est un instinct de la nature propre à tous les humains, mais il m’est cruel de prevoir une vie languissante et de me voir mourir tous les jours d’une façon si lente et miserable. Je prefere plutot une mort subite, et je la regarde comme la fin des cruelles souffrances que je dois attendre59

Dans sa correspondance privée, Tissot reçoit fréquemment desdemandes tacites de la part de ses interlocuteurs. Madame de Maraise, femme d’affaires et épistolière connue au 18e siècle, cultive l’art d’agrémenter ses propos mondains de diverses allusions à ses incommodités, en se défendant de quémander des conseils, mais en donnant toutefois suffisamment d’informations pour que Tissot soit à même de lui en donner.


«Je ne puis me dissimuler que mes facultés baissent, mes moyens diminuent ce que les besoins des exercices semblent augmenter d’autant; vous ne me donnerez point de remede à ce mal. Pourquoi donc vous l’exposer60

Au vu de ces modes de relation épistolaire, il est parfois difficile de déterminer si les correspondants de Tissot écrivent au médecin ou à l’ami. Gravitant généralement dans les mêmes sphères socioculturelles que ses patients, celui-ci noue avec plusieurs d’entre eux des rapports fondés autant sur la fonction médicale que sur les réseaux de sociabilité propres au 18e siècle.

Cherchant à appuyer sa demande, Madame de Chastenay s’adresse par exemple au médecin lausannois en invoquant leur vieille amitié; elle va jusqu’à le supplier de lui prêter les mêmes égards que s’il avait à soigner l’une de ses parentes.


«Mon ancien amy, venés à mon secours; je vous en prie; traités-moi avec le même interêt que vous auriés pour votre fille. […] Prescrivés-moi un régime; […] je m’y soumettrai quelque austere qu’il puissent être […]. Faite-moi, je vous en prie, une réponse bien longue, bien détaillé et bien motivé; faite-la moi attendre le moins possible […]. Redonnés-moi de la force contre moi-même, et voyés avec indulgence un exposé aussi long qu’ennuyeux61

La lettre de Monsieur Larrey illustre nettement les conventions épistolaires de la fin du 18e siècle, qui autorisent une expression plus libre des sentiments. Il use de rhétorique pour s’attirer les faveurs de Tissot afin d’adapter la prescription à ses préférences, stratégie de négociation thérapeutique apparente dans un grand nombre de courriers.


«Il seroit bien doux pour moi de joindre aux sentimens d’estime et d’admiration que je vous porte depuis longtems, Monsieur, ceux qui naissent d’une liaison plus particuliere, et de mériter quelque retour de votre part […]. Je me conformerai à la lettre à tout ce que vous avés l’amitié de me prescrire, et j’essayerai graduellement si je puis me passer de vin, ce dont je doute cependant, parce que son usage modeste a toujours principalement sustenté tout ce qui porte le nom de Larrey. […] Je ne vous importunerois ni de mes ecritures, ni de mes visites; si j’avois le bonheur de vous en faire, ce seroit plus, j’espére, pour profiter de l’agrément de votre societé que pour vous parler de mes misères. C’est Monsieur Tissot que j’irois voir, et non pas mon medecin62

Ces quelques illustrations suffisent à montrer la diversité des manières dont se conjugue la relation soignant-soigné. Il est certes possible de dégager des usages communs de la pratique épistolaire, notamment en ce qui concerne les représentations du corps et de la santé qui sous-tendent l’appréhension de la maladie. Néanmoins, chaque lettre conserve des aspects singuliers que cette base de données (http://www.chuv.ch/iuhmsp/ihm_bhms ) s’est employée à conserver. Sans prétendre décrire des comportements sanitaires entièrement représentatifs de la société de l’époque, elle souligne le rôle prépondérant du cadre domestique dans la prise en charge des maux, offrant ainsi de précieux éclaircissements sur l’histoire du quotidien et de la famille à l’aube de la Révolution. De cet ensemble de plus d’un millier de missives surgissent et se précisent progressivement des esquisses historiques plus vastes, celles des réseaux sociaux et institutionnels dans lesquels s’inscrivent les pratiques médicales, ou encore celles des modèles théoriques et des pluralismes thérapeutiques qui caractérisent le marché des soins au 18e siècle.






L’expérience de la maladie: entre vécu personnel et significations culturelle



Le fonds Tissot de consultations épistolaires fournit l’occasion de constater à quel point la maladie suscite des expériences diversifiées, lesquelles s’articulent d’une part sur des facteurs socioculturels et historiques, d’autre part sur une série de variables biographiques. Façonné à partir de visions du corps et de la santé communes à une collectivité, le vécu des maux demeure toujours pétri de significations personnelles. Il suscitera des réponses ou des attitudes différenciées, investies d’intentions propres à chaque personne.


Les manuscrits soulignent en effet combien les seuils de tolérance face à la maladie divergent selon les individus. Madame de Ruys, par exemple, juge trop important l’écart qualitatif entre ce qu’elle éprouve, principalement des maux de nerfs et des «vapeurs», et la santé dont elle peut raisonnablement espérer jouir à son âge, raison pour laquelle elle décide de recourir à une aide médicale:


«Il est bien douloureux de se voir à l’âge de 24 ans la victime d’infirmité qui ne devroit pas être mon partage, […]. Ma situation n’est pas un etat volant de maladie mais des incomodités plus désagréables encore par leur fréquens retours et qui m’en font craindre de plus facheuses encore dans l’avenir si je ne reussis à y porter remede63

Affligée elle aussi de troubles nerveux et de vapeurs, une dame ayant dépassé la soixantaine conçoit, quant à elle, des attentes nettement moindres vis-à-vis de Tissot et des thérapeutiques.


«Cette dame ne pretend point à la santé, vû son age et l’ancienneté de ses maux, mais elle demande à Monsieur Tissot quelques soulagemens, qui la mettent dans une scituation moins pennible pour le tems qu’il luy reste à vivre64

Au-delà des particularités inhérentes aux récits, des trames narratives récurrentes renvoient aux significations sociales et culturelles de la maladie au 18e siècle.






La culture sanitaire au siècle des Lumières



Seule la contextualisation de chaque pièce de correspondance dans la culture sanitaire de l’époque permet de comprendre les interprétations suggérées par les malades65. Madame Contrisson de Villie estime par exemple que tous ses maux sont dus à une «humeur de rhumatisme» qui se serait «répandu sur les nerfs», induisant engourdissement dans la tête, bourdonnements d’oreille ou encore spasmes66. C’est une même causalité associant théories humorales et étiologie nerveuse qui est retenue par Monsieur Falaiseau; il serait incommodé par une «humeur qui tombe de la tête et coule le long des nerfs du cou», provoquant alors des tremblements et autres symptômes convulsifs67.


D’autres patients emploient des registres lexicaux et sémantiques convoquant un modèle hydraulico-mécanique du corps, selon lequel la circulation et l’évacuation régulière des fluides corporels seraient essentielles au maintien de la santé. Un commerçant commence sa lettre en évoquant une disposition récente à «une surabondance de sang», qui l'a poussé à se faire saigner deux fois par an68. Ce lecteur régulier des ouvrages de Tissot explique cette tendance à la pléthore, considérée comme un risque sanitaire majeur, en décrivant le rhume dont il a été atteint deux ans auparavant.


«Il me semble aujourd'hui que les efforts du gros rhume que j'ai eû il y a deux ans m'ont fait porter le sang à la tête en plus grande abondance qu'auparavant, et que c'est [cette] quantité surabondante qui occasionne les eblouissemens, les meaux de tete si fréquens.»

Le contenu et la forme des consultations épistolaires sont aussi en partie influencés par les ouvrages de Tissot, évoqués dans nombre de lettres, en particulier l’’Avis au peuple sur sa santé’, qui énumère un catalogue de questions nécessaires pour saisir les traits principaux d’une maladie en l’absence du patient; avec ses interrogations relatives à la nature et à la régularité des excrétions corporelles ou encore à la qualité du sommeil, le praticien propose une véritable grille d’écriture de la consultation épistolaire69.


Pour autant, les lettres composées par les profanes ne sauraient être réduites au rang de simple reflet d’un discours médical perçu comme hégémonique, et plusieurs correspondants critiquent sans scrupule les points de vue médicaux qui n’emportent pas leur conviction. On est loin d’un respect univoque et définitivement acquis face à l’autorité médicale, comme en témoigne la lettre du comte de Genouilly.


«Je me suis donné, etant plus jeune, avec une forte avidité à la lecture des meilleurs ouvrages de medecine, mais bientôt degouté de ce fratras sistemique, des erreurs sans nombre qui obscurcissent un petit nombre de verité […]70

Le ton dogmatique qui imprègne certains raisonnements médicaux est dénoncé à plusieurs reprises par les patients. Le témoignage de Monsieur Gualtien est à ce titre éloquent.


«Je n’ai nulle confiance dans nos medecins; ce sont des gens à systheme, et qui plient tout à cela; ils n’ont pas du tout le coup d’œil observateur, et leur fanatisme pour les systhemes et les hypotheses ne leur permet pas de voir ou d’etudier la nature71

À la doctrine, les malades ou leurs proches préfèrent l’expérience et l’observation, raison pour laquelle ils se sentent parfois mieux armés que les médecins pour rendre compte de leurs maux, ou décident d’en confier la prise en charge à des soignants qui ne sont pas issus du sérail médical académique. Ainsi, racontant le parcours thérapeutique de son épouse atteinte de maux de nerfs, un avocat écrit.


«La personne qui lui donne des soins, […] sans etre medecin, s’est apliqué depuis quelques années à connoitre plus particulierement les affections histeriques et hypocondriaques, ainsy que les maux de poitrine, voyant perir tous les jours, sous ses yeux, un nombre considerable de personnes victimes de l’entetement et des préjugés des medecins, qui tiennent encore et malgré leur experience, au sisteme destructeur dont ils ne veulent point se departir72

Bien que les patients de Tissot soient pour la plupart issus de couches sociales aisées, ils n’hésitent pas à recourir à des soignants empiriques non reconnus par la communauté médicale ou de faire usage de recettes domestiques traditionnelles. Devant l’insuccès des mesures préconisées par des chirurgiens et des médecins, une ancienne comédienne du roi décide par exemple de s’en remettre à un thérapeute sans licence, espérant ainsi venir à bout de son «état vaporeux» et convulsif.


«S'appercevant du peu de soulagement, on lui indiqua un homme qui sans aucun titre passoit pour avoir fait des cures merveilleuses sur des personnes affligées de la même maladie. Après plusieurs informations, le desir de parvenir à un état de guérison lui inspira la confiance d'appeller cet homme qui, ayant promis de la guérir dans l'espace de trois mois, lui fit prendre des eaux composées, des bols, des lavements aussi composés et lui appliqua un emplatre de ciguë sur le bas ventre73

De tels parcours de soins témoignent du pluralisme thérapeutique à disposition des malades au 18e siècle et éclairent sur les raisons qui motivent le choix d’un soignant ou d’un traitement.






Interpréter les maux et les mots



La base de données dont la publication en ligne (http://www.chuv.ch/iuhmsp/ihm_bhms) accompagne celle de cet ouvrage propose une grande diversité de critères de recherche afin de répertorier tant des indications relatives à l’expérience de la maladie que des informations plus objectives – telles que l’âge ou le genre – se prêtant à des études sérielles ou quantitatives. Il apparaît toutefois que nombre de données supposées quantifiables impliquent une part importante d’interprétation, de la part des auteurs qui les incorporent à leur récit mais aussi de celle des historien-ne-s qui s’attachent à les restituer. Par exemple, une information telle que la durée de la maladie peut s’avérer délicate à reconstruire, tant elle est susceptible de donner lieu à des perceptions différentes.


Le dossier concernant Mademoiselle d’Hervilly, qui contient huit pièces écrites entre février 1770 et juin 1774, en est une preuve éloquente74. Lorsque la première missive, rédigée par la mère de la jeune fille, parvient à Tissot, les maux durent depuis au moins quatre mois et demi. Les parents de l’enfant, alors âgée de huit ans et demi, les mettent sur le compte d’une inoculation variolique, qui aurait été pratiquée sans les précautions d’usage. Ils soupçonnent d’ailleurs que les substances administrées en vue de préparer l’organisme à subir l’intervention contenaient du mercure, ce dont ils n’avaient pas été informés au préalable. Ils semblent implicitement se défier de ce remède, lequel revêt, pour bon nombre de correspondants de Tissot, une image effrayante, celle d’un traitement habituellement réservé aux vénériens et connu pour être particulièrement irritant.


La mère présente l’histoire de la façon suivante: quatre jours après l’inoculation, sa fille se plaignit de forts maux de tête, d’oreille et de gorge, alors que les manifestations cutanées de la petite vérole n’apparurent qu’au onzième jour, s’étendant «depuis les aisselles jusque sous la plante de pieds75». D’autres maux se déclarèrent par la suite: un écoulement d’oreille, qui dura pendant quinze jours, accompagné d’une surdité totale. L’enfant se mit à délirer, «déraisonnant sans cesse, et ne voyant pas ceux qui l’approchoient76». D’autres symptômes apparurent encore. Si les médecins consultés n’y virent qu’une maladie de nerfs, sans établir un lien avec l’inoculation, les parents remarquèrent de leur côté l’apparence particulière du bras dans lequel la petite vérole avait été inoculée: il serait devenu plus faible et plus petit que l’autre, présentant en outre des mouvements continuels et involontaires depuis l’intervention. Le Dr Pouver, responsable de l’inoculation, soutint quant à lui,

«pour sa justification, que tous les accidents arrivés à Mademoiselle d’Hervilly venoient de son mal d’oreille, qu’on pouvait regarder comme un mal de famille, son père l’aiant eü à l’age de quatorze ans, dans la petite vérole, sa fille aînée en ayant été attaquée de même77».


Les interprétations des uns et des autres divergent donc fortement quant à l’origine des symptômes. Ont-ils surgi suite à l’inoculation, qui aurait été mal effectuée? Renvoient-ils à une prédisposition antérieure aggravée par cette intervention, ou bien ravivée peu après de façon tout à fait incidente? Doit-on les considérer comme des indices d’un mal encore plus ancien? La lettre signale en effet que vers l’âge de quatre ans, l’enfant aurait eu une «espèce d’attaque d’apoplexie78», qui la laissa sans connaissance durant trois heures. Ne pourrait-on pas y voir une prémisse des troubles actuels, qui se caractérisent eux aussi par des évanouissements? Autant de questions que le manuscrit laisse sans réponse.


La suite du dossier n’aide pas à y voir plus clair. Cinq ans après le premier courrier, la demoiselle est de nouveau confiée aux soins de Tissot, cette fois par l’intermédiaire de sa tante, Madame de Chenoise. Celle-ci raconte l’histoire de la jeune fille, âgée maintenant de treize ans79 : pendant plusieurs années, cette dernière n’aurait été incommodée que de quelques troubles jugés sans rapport avec les maux antérieurs, parmi lesquels une fièvre putride; elle serait également tombée du lit durant son sommeil, ce qui conduisit à une perte de connaissance. Après trois ans de «guérison», l’adolescente manifesta à nouveau des symptômes ressemblant fortement à ceux dont elle avait souffert à la suite de son inoculation, notamment des convulsions, des évanouissements et une grande difficulté de mouvement.


L’auteure suggère qu’il s’agit d’une rechute de la maladie survenue il y a plusieurs années. Cette option interprétative ne fait toutefois pas l’unanimité, puisqu’un médecin ramène, quant à lui, ce tableau morbide à l’imminence des règles et de la puberté, période considérée comme délicate pour la santé des jeunes filles.


Des exemples de ce type sont légion, qu’il s’agisse de la temporalité des maladies ou de leur définition étiologique, de leur évaluation diagnostique ou de leur description symptomatologique. Tout malaise est avant tout un phénomène vécu et apprécié dans l’intersubjectivité, et les divers acteurs concernés ne défendent pas nécessairement toujours les mêmes visions ou versions de l’histoire.



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Élaborer une base de données



S’il est parfois malaisé de comprendre les expériences et les interprétations des différents protagonistes, il l’est d’autant plus quand il s’agit de les traduire dans des catégories générales, d’où la difficulté à rendre compte de chaque témoignage en fonction des rubriques prédéfinies d’une base de données. Un effort auquel on pourrait renoncer au nom de l’irréductible singularité des manuscrits, mais qui représente la seule condition pour donner une vue d’ensemble de ce corpus de consultations épistolaires. L’élaboration d’une base de données nécessite donc un certain effort d’abstraction et d’objectivation, ce qui induit une tension entre particulier et général, afin de préserver les caractéristiques intrinsèques des sources tout en mettant à disposition des clés de recherche plus schématiques.


Par un mouvement d’aller et retour entre chaque pièce manuscrite et l’ensemble des consultations épistolaires, il est néanmoins possible de reconstruire les catégories de pensée des correspondants de Tissot, afin de décrire les documents en fonction de schèmes narratifs propres au 18e siècle. Il a toutefois aussi fallu créer plusieurs rubriques selon un langage familier aux chercheurs contemporains, afin de faciliter l’utilisation de cette base de données. Par exemple, les appréciations des auteurs concernant les traitements ont été traduites en différentes formules telles que «amélioration temporaire» ou «effet indésirable», bien que ce genre d’évaluation ne soit pas exprimé sous cette forme dans les lettres de patients. La lecture des résultats de recherche permettra néanmoins de découvrir les propos des auteurs, souvent cités littéralement. Ainsi, sous la notion générale d’ «effet indésirable», on trouve des mentions telles que: «les sangsues ont provoqué un affaiblissement général», ou «les purgatifs entraînent une plus grande faiblesse et la perte de l’appétit». Les expressions plus complexes sont généralement reproduites dans le résumé, qui offre un espace pour l’intégration de caractéristiques plus qualitatives propres à chaque document.


Le principe fondamental qui sous-tend la constitution de cette base de données est de considérer chaque pièce de correspondance comme une unité et de créer autant de fiches descriptives qu’il y a de documents. Sauf exception – en cas de doublons – une fiche renvoie donc non pas à un malade, mais à une source.

La base de données contient une quarantaine de rubriques, dont la plupart peuvent servir à faire des sélections, tandis qu’une minorité sont uniquement vouées à la description de la source. Les rubriques ont été étendues et diversifiées au maximum, afin de proposer de nombreuses pistes d’investigation. Il arrive que les documents ne fournissent aucune information relative à une ou plusieurs rubriques. Dans de tels cas, les rubriques en question comportent l’indication «aucune mention», une absence d’information dont il faut tenir compte si l’on effectue des quantifications; l’utilisation de sigles tels que les crochets ou les astérisques sert à signaler une donnée déduite par recoupement ou présentée comme probable sans être certifiée.
Les dix mots-clés thématiques accessibles sur l’écran «Document» offrent autant d’axes d’analyse suggérés par les sources et la littérature secondaire. Ils sont complétés par l’index des matières qui propose des critères plus ciblés sous la forme d’un thesaurus.




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Bibliographie



A. Sur Tissot, sa pratique et ses écrits

BARRAS, Vincent & Micheline LOUIS-COURVOISIER (éds), La médecine des Lumières. Tout autour de Tissot, Genève, Georg/Bibliothèque d’histoire des sciences, 2001

BENAROYO, Lazare, ‘L’avis au peuple sur la santé’ de Samuel Auguste Tissot (1728-1797) ; la voie vers une médecine éclairée, Zurich, Juris Druck, 1988

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TARCZYLO, Théodore, « Prêtons la main à la nature : L’onanisme de Tissot », Dix-huitième siècle, 12, 1980, pp. 79-96

TEYSSEIRE, Daniel, «Aux origines de la médecine sociale et de la politique de la santé publique : L’Avis au peuple sur sa santé », Mots / Les langages du politique, 26, 1991, pp. 47-64

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HÄCHLER, Stefan, «Arzt aus Distanz. Die Fernkonsultationspraxis Albrecht von Hallers », dans Martin STUBER, Stefan HÄCHLER & Luc LIENHARD (éds), Hallers Netz : ein europäischer Gelehrtenbriefwechsel zur Zeit der Aufklärung, Bâle, Schwabe, 2005, pp. 317-349

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OAKLEY, A.F.,«Letters to a seventeenth-centuryYorkshire physician», History of Medicine, 2, 1970, pp. 24-28

OLIVIER, Jean, « Les registres de consultations du Docteur Tronchin », Revue médicale de la Suisse romande, 69, 1949, pp. 659-681

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PILLOUD, Séverine, « Mettre les maux en mots : médiations dans la consultation épistolaire au 18e siècle ; les malades du Dr Tissot (1728-1797) », Bulletin canadien d’histoire de la médecine, 16, 1999, pp. 215-245

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STOLBERG, Michael, « Homo patiens » : Krankheits- und Körpererfahrung in der Frühen Neuzeit, Cologne, Böhlau Verlag, 2003

TEYSSEIRE, Daniel, Obèse et impuissant : le dossier médical d’Élie de Beaumont, 1765-1776, Grenoble, Million, 1995

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C. Sur l’histoire de la maladie et des malades

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HOLZHEY, Helmut & Urs BOSCHUNG (éds), Gesundheit und Krankheit im 18. Jahrhundert, Amsterdam-Atlanta (Ga), Rodopi, 1995

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STOLBERG, Michael, «An Unmanly Vice : Self-pollution, anxiety and the body in the eighteenth century », Social History of Medicine, 13, 2000, pp. 1-21

STOLLBERG, Gunnar & Jens LACHMUND (éds), The Social Construction of Illness : Illness and medical knowledge in past and present, Stuttgart, Franz Steiner, 1992

STOLLBERG, Gunnar & Jens LACHMUND, Patientenwelten : Krankenheit und Medizin vom späten 18. bis zum frühen 20. Jahrhundert im Spiegel von Autobiographien, Opladen, Leske & Budrich, 1995

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Catalogue mis à jour en octobre 2015

logo BHMS

Les mots du corps. Expérience de la maladie dans des lettres de patients à un médecin du 18e siècle: Samuel Auguste Tissot. S. Pilloud avec une préface d’O. Faure, xviii et 372 p., 2013

Maladies en lettres, 17e–21e siècles. Sous la direction de V. Barras et M. Dinges, 270 p., eBook-BHMS_1, 2013

Le compas & le bistouri. Architectures de la médecine et du tourisme curatif. L’exemple vaudois (1760–1940). D. Lüthi avec une préface d’A.-M. Châtelet, xxii et 546 p., 2012

Body, Disease and Treatment in a Changing World. Latin Texts and Contexts in Ancient and Medieval Medicine (Proceedings of the Ninth International Conference “Ancient Latin Medical Texts”, Hulme Hall, University of Manchester, 5th-8th September 2007). D. Langslow and B. Maire (eds), xviii et 404 p., 2010

Anatomie d’une institution médicale. La Faculté de médecine de Genève (1876–1920). Ph. Rieder, xii et 392 p., 2009

Le style des gestes. Corporéité et kinésie dans le récit littéraire. G. Bolens avec une préface d’A. Berthoz, xiv et 156 p., 2008

La médecine dans l’Antiquité grecque et romaine. H. King et V. Dasen, xii et 130 p., ill. et dessins n/b, 2008

L’ombre de César. Les chirurgiens et la construction du système hospitalier vaudois (1840--1960). P.-Y. Donzé avec un avant-propos de J.V. Pickstone, xx et 369 p., 2007

Medicina, soror philosophiae. Regards sur la littérature et les textes médicaux antiques (1975–2005). Avant-textes Textes réunis et édités par B. Maire, Préface de J. Pigeaud, Ph. Mudry, xxiv et 545 p., 2006

Bâtir, gérer, soigner – Histoire des établissements hospitaliers de Suisse romande. P.-Y. Donzé, 388 p., 33 ill. n/b, 2003

Visions du rêve. Sous la direction de V. Barras, J. Gasser, Ph. Junod, Ph. Kaenel et O. Mottaz, 288 p., 2002

Rejetées, rebelles, mal adaptées – Débat sur l’eugénisme – Pratique de la stérilisation non volontaire en Suisse romande au 20e siècle. G. Heller, G. Jeanmonod et J. Gasser, 2002

Médecins voyageurs – Théorie et pratique du voyage médical au début du 19e siècle. D. Vaj, 348 p. 150 ill. n/b, 2002

La médecine à Genève jusqu’à la fin du 18e siècle. L. Gautier, 746 p., 11 ill., 2001

L’avènement de la médecine clinique moderne en Europe 1750–1815 – Politique, institutions et savoirs. O. Keel, 544 p., 2001

Soigner et consoler – La vie quotidienne dans un hôpital à la fin de l’Ancien Régime (Genève 1750--1820). M. Louis-Courvoisier, 336 p., 2000.




logo Sources

L’usage du sexe. Lettres au Dr Tissot, auteur de « L’Onanisme » (1760). Essai historiographique et texte transcrit par P. Singy, x et 278 p., glossaire, 2014

Archives du corps et de la santé au 18e siècle: les lettres de patients au Dr Samuel Auguste Tissot (1728-–1797). S. Pilloud, M. Louis-Courvoisier et V. Barras, 2013 Base de données en ligne : www.chuv.ch/iuhmsp/ihm_bhms

Documenter l’histoire de la santé et de la maladie au siècle des Lumières : les consultations épistolaires adressées au Dr Samuel Auguste Tissot (1728--1797). S. Pilloud, 50 p., eBook-BHMS_2, 2013

Samuel Auguste Tissot, De la Médecine civile ou de la Police de la Médecine. Édité par M. Nicoli avec une introduction de D. Tosato-Rigo et M. Nicoli, lxx et 160 p., fac-similé, glossaire, index, 2009

Gabriel Tarde, « Sur le sommeil ou plutôt sur les rêves ». Et autres textes inédits. Édités par J. Carroy et L. Salmon, viii et 228 p., index, 2009

Se soigner par les plantes. Les «Remèdes» de Gargile Martial. B. Maire avec un avant-propos de K. Hostettmann et un dossier iconographique par M. Fuchs, xxxvi et 136 p., 2007

La formation des infirmiers en psychiatrie. Histoire de l’école cantonale vaudoise d’infirmières et d’infirmiers en psychiatrie 1961--1996 (ECVIP). J. Pedroletti, viii et 231 p., 2004.




logo Hors Série

75 ans de pédopsychiatrie à Lausanne. Du Bercail au Centre psychothérapeutique. T. Garibian, avec un avant-propos de J.-M. Henny, une préface de F. Ansermet et une postface d’O. Halfon et Ph. Nendaz, xviii et 130 p., 2015

Migration et système de santé vaudois, du 19e siècle à nos jours. T. Garibian & V. Barras, xvi et 72 p., 2012

L’Hôpital de l’enfance de Lausanne. Histoire d’une institution pionnière de la pédiatrie suisse. M. Tavera & V. Barras, xii et 188 p., 2011.



E-Book BHMS et base de donnée

L’imprimé scientifique. Enjeux matériels et intellectuels. Édité par M. Nicoli, x et 186 p., eBook- BHMS_3, 2014

Archives du corps et de la santé au 18e siècle: les lettres de patients au Dr Samuel Auguste Tissot (1728--1797). S. Pilloud, M. Louis-Courvoisier et V. Barras, 2013. Base de données en ligne : www.chuv.ch/iuhmsp/ ihm_bhms

Documenter l’histoire de la santé et de la maladie au siècle des Lumières : les consultations épistolaires adressées au Dr Samuel Auguste Tissot (1728--1797). S. Pilloud, 50 p., eBook-BHMS_2, 2013

Maladies en lettres, 17e–21e siècles. Sous la direction de V. Barras et M. Dinges, 266 p., eBook-BHMS_1, 2013.



Cartes BHMS

Fleurs animées & Flore médicale. Douze cartes A5 (15 x 21 cm), cartes_BHMS 1, 2012.



À paraître

Entre neurosciences, médecine et culture: comment expliquer l’action humaine. R. Smith, Série Bibliothèque d’histoire de la médecine et de la santé

Genèse de la gymnastique. Usages médicaux du mouvement (1817-–1847). G. Quin, Série Bibliothèque d’histoire de la médecine et de la santé.












Notes de bas de page



1. Pour des informations bibliographiques relatives à Tissot, voir en particulier EMCH-DÉRIAZ 1992 (A).
2. Voir à ce sujet EMCH-DÉRIAZ 1987 (A); GAIST 1997 (A).
3. PETIT 1797 (A).
4. TISSOT 1993 (D) : 50-51.
5. Seules quatre consultations épistolaires ont été répertoriées dans la première partie du fonds Tissot: IS3784/I/6/4/ ; chap. XIII, pp. 6-7 ; IS3784/I/92, p. 17 ; IS3784/I/74, pp. 76-77 ; IS3784/I/48/1, pp. 58-59.
6. Daniel Teysseire, premier à s’être intéressé de près au fonds de correspondance de Tissot et aux lettres de patients, est l’auteur de diverses publications relatives aux consultations épistolaires. Pour un aperçu sommaire, voir la bibliographie.
7. IS3784/II/144.02.06.14.
8. IS/3784/II/146.01.03.08, Saint-Simphorin (Dauphiné), 27 mai 1781.
9. IS3784/II/144.01.09.05.
10. IS3784/II/144.03.06.24.
11. IS3784/II/144.02.02.12.
12. IS3784/II/144.04.08.08.
13. IS3784/II/144.05.06.16.
14. S3784/II/143.34.
15. IS3784/II/149.01.05.10.
16. IS3784/II/144.01.09.07.
17. IS3784/II/144.05.05.14.
18. IS3784/II/144.01.08.18 ; IS3784/II/144.03.02.14.
19. IS3784/II/131.01, pp. 69-71.
20. IS3784/II/149.01.05.10.
21. Voir notamment IS3784/II/144.02.02.02.
22. Voir notamment IS3784/II/144.02.06.37 ; IS3784/II/144.03.03.11.
23. IS3784/II/144.05.07.33 ; IS3784/II/144.01.07.30.
24. IS3784/II/144.04.01.19 ; IS3784/II/144.03.06.22.
25. IS3784/II/144.02.02.14.
26. S3784/II/144.01.09.02.
27. IS3784/II/144.05.02.08.
28. PILLOUD 1999 (B).
29.
30. IS3784/II/144.03.04.06.
31. IS3784/II/144.04.04.15.
32. IS3784/II/144.03.03.19.
33. AGRIMI & CRISCIANI 1994 (B): pp. 10-11.
34. GALIEN, « Des lieux affectés », IV, dans Charles DAREMBERG, Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, tome 2, Paris, Baillière, 1856, p. 587.
35. SIRAISI 1991 (B); AGRIMI & CRISCIANI 1994 (B): p. 57.
36. WICKERSHEIMER 1924 (B).
37. MONDEVILLE, Henri de, Chirurgie de Maître Henri de Mondeville composée de 1306 à 1320, traduction, notes & introduction par E. Nicaise, Paris, Félix Alcan, 1893, pp. 202-203.
38. Voir les exemples de consilia rendus par des chirurgiens dont il est fait mention dans le fonds Tissot: IS3784/ II/144.05.04.23 & IS3784/II/144.05.05.33 ; IS3784/II/144.05.05.13 ; IS3784/II/144.05.03.15 ; IS3784/II/144.03.05.17 ; IS3784/II/144.03.04.32 ; IS3784/II/144.01.07.07.
39. RUISINGER 2009 (B).
40. BROCKLISS, Laurence, «Quatre médecins francophones et la République des Lettres du 18e siècle: Boissier de Sauvages, Villars, Calvet et Tissot», dans BARRAS & LOUIS-COURVOISIER 2001 (A), pp. 151-169.
41. MAYER 1975 (C).
42. FAURE 1992 (C).
43. DINGES 2002 (C).
44. BOSCHUNG 1996 (C); HÄCHLER 2005 (B); PILLOUD, HÄCHLER & BARRAS 2004 (B).
45. CANDAUX 1964 (B); OLIVIER 1949 (B), 1955 (B); REBER 1909 (B), 1914 (B).
46. PERCIVAL, Thomas, Medical Ethics, [1803], édité par Chaucey Leake, Baltimore, Williams & Wilkins, 1927, p. 102.
47. IS3784/II/149.01.01.25.
48. IS3784/II/138.01.
49. IS3784/II/144.04.08.12.
50. IS3784/II/144.04.08.14.
51. IS3784/II/144.04.08.15.
52. IS3784/II/144.04.08.16.
53. IS3784/II/149.01.07.18.
54. IS3784/II/144.05.01.37.
55. IS3784/II/138.02.
56. IS3784/II/131.01 ; pp. 59-60.
57. IS3784/II/144.02.01.13.
58. IS3784/II/144.05.04.28.
59. IS3784/II/144.01.09.05.
60. IS3784/II/144.03.02.04.
61. IS3784/II/144.03.05.04.
62. IS3784/II/144.03.04.16.
63. IS3784/II/144.03.01.04.
64. IS3784/II/144.04.05.08.
65. Pour un développement sur ce sujet PILLOUD 2012 (B).
66. IS3784/II/146.01.01.02, s.l., 22 octobre 1783.
67. IS3784/II/149.01.02.16, s.l., s.d., [1750-1797].
68. IS3784/II/144.04.01.02, Troyes, 16 janvier 1786.
69. TISSOT 1993 (D) : pp. 391-394.
70. IS3784/II/149.01.07.05.
71. IS3784/II/144.09.01.
72. IS3784/II/144.02.05.21.
73. IS3784/II/131.01; pp. 69-71, Bordeaux, 13 décembre 1774.
74. IS3784/II/144.02.02.16-21 & 144.02.02.23-24.
75. IS3784/II/144.02.02.17.
76. IS3784/II/144.02.02.17.
77. IS3784/II/144.02.02.17.
78. IS3784/II/144.02.02.17.
79. IS3784/II/144.02.02.23.