Delphine Carré est infirmière au Service de Médecine Intensive Adulte. Elle assume également le rôle de coordinatrice du don d’organe.
En 2012, la Suisse comptait 13 donneurs décédés par million d’habitant, un chiffre insuffisant. Le don d’organe est encore une thématique délicate à aborder. Notre pays ne s’est doté d’une loi sur la transplantation qu’en 2007. «Le nombre de donneurs a augmenté, mais nous sommes toujours en voie de développement. Il faudra encore un peu de temps pour que la situation s’améliore. Mais nous y travaillons», explique Diane Moretti, coordinatrice générale du Programme latin de dons d’organes (PLDO).
Cette structure instituée par les cantons romands et le Tessin en 2008 soutient notamment les hôpitaux partenaires dans leurs obligations légales liées au don. Au CHUV, cela a débouché sur la création d’un nouveau poste, celui de coordinatrice du don d’organes. Un rôle que se partagent plusieurs soignant-e-s, sous la supervision du Dr Marco Rusca, médecin adjoint au Service de Médecine Intensive Adulte.
Dans la chaîne de la transplantation, ce sont elles qui interviennent en premier lieu, avant le diagnostic de mort cérébral. Elles se distinguent ainsi des coordinatrices de transplantation qui prennent le relais une fois le décès officiellement déclaré.
Infirmière au Service de médecine intensive adulte depuis 10 ans, Delphine Carre consacre 20% de son temps de travail à la coordination de don.
A elle d’examiner et d’identifier les donneurs potentiels. Ces derniers doivent répondre à un certains nombre de critères régis par un document légal. La condition sine qua non étant évidemment le constat d’une mort encéphalique. La coordinatrice de don intervient auprès des équipes soignantes sur demande, pour du soutien ou pour aider dans cette prise en charge spécifique.
Il s’agit ensuite d’accompagner les proches, avec compassion dans l’événement douloureux qu’ils vivent. «On les rencontre plusieurs fois. Lors du premier entretien, on évoque le caractère irréversible de la situation, on est là pour les écouter, répondre à leurs questions, explique l’infirmière. C’est seulement dans un second entretien qu’on évoque la possibilité du don d’organes. Aborder tout en même temps serait sans aucun doute trop violent pour les familles.» Quelques soient leurs décisions, les familles sont accompagnées et doivent être au clair avec la situation. Car le coeur d’un patient en état de mort encéphalique* (voir ci-dessous) bat encore, sa respiration est maintenue, de façon artificielle, et son corps est chaud. Un état difficile à appréhender qui suscite beaucoup d’interrogation de la part de l’entourage.
Les familles refusent d’ailleurs le don d’organe dans 40% des cas. «On est surtout pas là pour les forcer à accepter le don, mais pour les informer et les accompagner dans leur décision», précise Delphine Carre. Les principales raisons de refus de don sont liées à des interprétations personnelles des préceptes religieux (aucune grande religion ne l’interdit), à des motifs éthiques, au traitement du corps pendant et après le prélèvement des organes, ou encore, à la méconnaissance des volontés du défunt. «On vit dans une société où la mort reste le plus grand des tabous, constate la coordinatrice du don. Par superstition ou par pudeur, les gens n’osent pas aborder ce genre de question. Et le moment venu, personne ne sait ce qu’aurait souhaité le défunt.»
Mais le travail de la coordinatrice ne s’arrête pas là. L’une de ses tâches principales consiste aussi à recueillir des informations, via une grande base de données, pour améliorer le processus de détection des donneurs potentiels et la prise en charge des familles. Ensuite, elle dispense beaucoup de formations auprès des équipes médicales et soignante. «Je m’assure qu’elles aient les connaissances des dispositions légales et des protocoles en place dans l’Institution. Nous organisons également avec elles un débriefing après chaque prise en charge d’un donneur potentiel.»
Enfin, Delphine Carre passe beaucoup de temps à communiquer autour du don, avec les professionnels d’une part mais aussi auprès du grand public.
(*La mort encéphalique est l’arrêt complet et irréversible de toutes les fonctions du cerveau.)
Le réseau PLDO regroupe les 17 hôpitaux publics des cantons latins. 20 coordinatrices de don travaillent en étroite collaboration avec les services des soins intensifs pour identifier les donneurs en vue d’une transplantation, assurer la formation du personnel médico-soignant et introduire les protocoles de prise en charge.
Grâce aux efforts entrepris, le nombre de donneurs a augmenté d’environ 30% par rapport à 2008, avec des variations annuelles importantes (29 à 51 donneurs/an au niveau du PLDO). Chaque donneur permet de réaliser en moyenne 3-4 transplantations. Au CHUV, il y a entre 8 et 15 donneurs chaque année.