La course aux traitements


Comment faire vite sans pour autant sacrifier la rigueur scientifique ? Un exercice d’équilibriste pour des centaines de chercheurs en Suisse.

 

En mai 2020, une centaine d’investigations en lien avec le Covid-19 étaient en cours en Suisse. Ces recherches, qui impliquent des patients, ont été lancées en l’espace de quelques semaines. Une avalanche de projets qui traduit une réaction exceptionnelle à la pandémie de la part des chercheurs. « Au CHUV, nous avons reçu plus de 50 propositions en un mois », annonce Marc Froissart, directeur du Centre de recherche clinique.

Afin de gérer cet afflux, le CHUV a créé un groupe de travail spécifique. « Ce groupe analyse et valide l’ensemble des projets de recherche, qui sont ensuite soumis à la Commission cantonale d’éthique de la recherche sur l’être humain, détaille Manuel Pascual, vice-doyen de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. L’objectif est d’éviter les doublons ainsi que tout problème logistique ou éthique. » Il s’agit par exemple d’empêcher que trop de prélèvements de sang ne soient réalisés sur le patient ou que le personnel soignant soit surchargé. « La priorité doit toujours rester la prise en charge des malades. »


Le groupe de travail présidé par Benoit Guery, médecin-chef au Service des maladies infectieuses du CHUV, a établi des priorités. « Nous avons priorisé les études interventionnelles ou thérapeutiques, qui représentent un gain direct pour le patient », souligne-t-il. Le vaste projet Solidarity a ainsi été sélectionné, tout comme la recherche Coron-Act (lire encadré). Pour déboucher sur des résultats convaincants, ces recherches doivent être menées sur des milliers de patients, dans des conditions différentes, pendant toute la durée de la pandémie, précise le chercheur Oriol Manuel, qui coordonne Solidarity au niveau suisse. « Plusieurs mois seront nécessaires avant de publier les résultats finaux. L’OMS ambitionne toutefois d’analyser les données en continu, pour aider à la prise en charge le plus rapidement possible de la population mondiale en cas de résultats préliminaires positifs. »

Des études dites observationnelles (autrement dit, sans intervention sur le patient) ont aussi été validées, mentionne Benoit Guery. « L’accent a été mis sur cinq aspects fondamentaux : l’analyse de la coagulation, celle de la réponse immunitaire, celle du microbiote intestinal, la susceptibilité génétique ainsi que la réponse anticorps. » Si les recherches thérapeutiques ne donnent rien, il sera en effet crucial de pouvoir revenir à celles servant à mieux comprendre le virus et ses effets.
Conçus en dehors du centre hospitalier, des projets sur les effets sociétaux du coronavirus figurent également dans la liste des projets de recherche. Ils s’intéressent par exemple au rôle de la technologie dans la lutte contre l’isolation sociale des aînés.

 

Une épreuve de vitesse
La recherche clinique en temps de Covid-19 se différencie par la multiplicité des sujets aussi bien que par la rapidité d’action qu’elle requiert. « Mettre sur pied des études en un mois, sans baisser les exigences de qualité, relève de l’exploit, se félicite Marc Froissart. Pour programmer des essais cliniques, neuf mois à un an sont normalement nécessaires, qu’il s’agisse notamment de la rédaction d’un protocole, de l’identification des sites participants, de la recherche de financement ou de la consultation des autorités compétentes (Swissmedic, commission d’éthique). »
Si l’épidémie venait à ralentir, les données recueillies devraient être utiles en cas de résurgence de petits foyers de contagion, d’apparition de virus similaires ou de deuxième vague. Le lancement de recherches cliniques devrait également profiter de l’expérience accumulée et gagner en efficacité. « Nous proposerions par exemple une étude observationnelle avec plusieurs volets : sous un même chapeau, nous aurions différentes approches d’investigation, affirme Marc Froissart. Cela permettrait de rendre la recherche plus solide sur un plan méthodologique, de gagner du temps sur les aspects réglementaires et de ne présenter qu’un seul formulaire de consentement au patient. »

 

Deux exemples de recherche

Épidémie globale, réponse globale
L’Organisation mondiale de la santé a lancé le projet de recherche Solidarity pour tester quatre traitements possibles au Covid-19 : le remdesivir, la l’hydroxychloroquine, ainsi que deux combinaisons aux noms tout aussi compliqués (lopinavir/ritonavir et lopinavir/ritonavir avec interferon beta-1a).
Le volet suisse de Solidarity est coordonné par Oriol Manuel, médecin chercheur au Service des maladies infectieuses et au Centre de transplantation d’organes du CHUV. « Le but de l’OMS est de pouvoir mener cette recherche dans des contextes différents, qu’il s’agisse de pays en pleine crise sanitaire ou ayant déjà passé le pic de l’épidémie, d’États riches ou en développement ; mais aussi dans tout type d’institutions, d’hôpitaux de campagne comme de centres universitaires. » Depuis fin avril, chaque nouveau malade hospitalisé dans un des 17 centres participants en Suisse est inclus dans l’étude, sous réserve qu’il ait donné son consentement.


Orage de molécules
Autre projet sélectionné par le CHUV : la recherche Coron-Act. « Cette étude, réalisée avec l’Hôpital de l’Île à Berne, analyse l’efficacité de la molécule Tocilizumab, relève Marc Froissart. Cette dernière prévient une aggravation secondaire du Covid-19 survenant généralement vers le 7e jour de la maladie. »
Le système immunitaire réagit alors très fortement, provoquant un « orage de cytokines » (soit une sécrétion excessive de ces molécules naturellement produites par les cellules du système immunitaire), entraînant souvent un syndrome de détresse respiratoire aiguë.

 

Texte: Blandine Guignier
Source: in vivo magazine.com

 Dernière mise à jour le 26/10/2020 à 10:30