Le 1er avril 2012, le CHUV ouvrait l’Espace Patients et Proches, destiné à recueillir les témoignages des patient.e.s et de leurs proches suite à une prise en charge qu’ils jugeaient insatisfaisante. Portée par le directeur général de l’époque Pierre-François Leyvraz, la création d’un lieu d’écoute partait de la préoccupation que les extraordinaires avancées de la science, entraînant des soins toujours plus technologiques, complexes et fragmentés, fragilisent la qualité de la relation avec le patient. Conçue initialement pour les patient.e.s et leurs proches, cette structure s’est ouverte aux professionnel.le.s du CHUV qui y recourent toujours plus souvent, et a pris pour cela, dès 2021, le nom d’Espace de Médiation.
En 2021, 46% des demandes émanaient de patient.es, 36% des proches et 18% de professionnel.le.s. L’analyse des données récentes a révélé une thématique sensible : celle des tensions, agressivités, voire violences des patient.e.s et des proches envers les professionnel·le·s de la santé. Celles-ci sont plus ou moins manifestes, et peuvent être d’ordre verbal ou physique ; elles peuvent aussi se manifester sous des formes plus subtiles d’ordre psychologique et/ou relationnel. Les professionnels recourent à ce lieu pour un conseil ou une médiation lorsque la relation avec le patient devient trop difficile.
Quant aux patient.e.s ou leurs proches, ils se limitent dans une grande majorité, à décrire leur expérience lors d’un entretien unique, sollicitent un conseil pour rétablir un lien de confiance avant de retourner parler aux équipes médico-soignantes ou ont besoin d’une orientation au sein de l’hôpital, voire du réseau de soins. Dans près de la moitié des situations ouvertes sur demande de patient.e.s et de proches, l’Espace de Médiation n’a aucun contact avec le personnel de l’hôpital. D’autres personnes choisissent la plainte juridique et l’investigation officielle, souhaitent une réponse écrite, ou des informations voire des modifications de leur dossier, ce qui n’est pas du ressort de l’Espace de Médiation. Elles sont réorientées alors vers les services et directions concernés notamment l’Unité des affaires juridiques et la Direction médicale. Toutefois, une majorité de patient.e.s et leurs proches souhaitent avant tout témoigner de leur vécu, au-delà des procédures écrites, dans l’espoir que leur expérience permette d’améliorer celle des autres patient.e.s.
Typologie des sollicitations
Bien que chaque situation soit unique, les relations entre personnes soignantes et soignées peuvent être décrites en fonction de trois grandes catégories de doléances, à savoir cliniques, organisationnelles et relationnelles. D’année en année, le profil des doléances est resté remarquablement stable. Près de la moitié concerne le domaine relationnel, et touche avant tout à la communication, ainsi qu’aux égards et à l’attention portés à la relation. Les autres doléances se répartissent à parts à peu près égales entre les domaines cliniques et d’organisation.
« Sources de culpabilité voire de honte, les plaintes étaient fréquemment banalisées dans les grandes institutions hospitalières, voire dissimulées plutôt qu’analysées de façon systématique », relève Béatrice Schaad, cheffe du Service de communication et professeure titulaire à l’UNIL, spécialisée dans la relation entre professionnels et patients et à l’origine de ce lieu d’écoute. « Or aujourd’hui, nous savons qu’elles recèlent des informations sur les dysfonctionnements de la prise en charge qui, notamment en raison de la place que les patients occupent dans le système de santé, échappent aux autres outils de veille de la qualité : discontinuité des soins, manque d’égards, critiques entre les professionnels au lit du patient (« c’est l’infirmière qui vous a fait un truc pareil ?» ) ou entre les services (« comment ils ont pu vous abîmer à ce point, vos veines sont des autoroutes »), promesses non tenues sur une opération qui ne se réalise finalement pas ou une distribution de médicaments qui n’arrive jamais. »
Améliorer la qualité de la prise en charge
Les doléances recueillies à l’Espace de Médiation sont analysées de manière systématique et restituées sous forme anonyme à divers niveaux de l’hôpital afin d’améliorer les processus de prise en charge. Ces données transmises aux services conduisent ceux-ci à développer des projets concrets d’amélioration des pratiques sur la base de l’expérience des patientes et patients, de leurs proches et du personnel de la santé. Suite à des témoignages de patients qui souffraient du trop grand nombre d’interlocuteurs qui les suivent, un service a par exemple décidé de rendre obligatoire la distribution de carte de visite par les médecins assistants à chaque tournus, afin que le patient ou ses proches sachent qui contacter en cas de difficulté. Dans une autre situation, un patient a raconté avoir reçu un appel de l’hôpital qui lui annonçait qu’il allait être opéré la semaine suivante, alors que l’opération avait eu lieu huit jours plus tôt. Ce témoignage a amené le service à revoir l’entier de son organisation de la prise de rendez-vous.
Pour le professeur Philippe Eckert, Directeur général du CHUV, «ce lieu d’écoute démontre, dix ans après son ouverture, que l’analyse de l’expérience et des témoignages d’insatisfaction, qu’ils émanent du soignant ou du patient, contribue de façon significative à ce que l’hôpital demeure hospitalier. »