AVRIL

Chère lectrice et cher lecteur de BHMS,

Nous poursuivons l’exploration de l’univers de nos autrices et de nos auteurs. Leurs réponses à nos questions, aussi variées qu’enrichissantes, sont une invitation à découvrir les voix qui façonnent le présent de l’histoire de la médecine et de la santé.
Nous les remercions chaleureusement de s’être prêté au jeu.
Plongez avec nous dans leurs réflexions, laissez-vous surprendre par leurs perspectives et découvrez qui se cachent derrière nos livres.

Mathieu Arminjon, Walter B. Cannon. Conférences sur les émotions et l’homéostasie, Paris, 1930. Édition, introduction et notes. (2020)

Quels sont les enjeux contemporains que votre ouvrage permet d’éclairer ?
Au travers des deux séries de conférences que Walter B. Cannon donne à Paris en 1930, on comprend comment le physiologiste étasunien en est venu à formuler l’une des premières théories du stress au carrefour de la physiologie des émotions et de l’homéostasie. L’introduction à ces textes inédits permet de situer ces conférences dans la carrière du physiologiste, mais aussi dans le contexte social et politique de l’entre-deux-guerres, marqué par le choc de la Première Guerre mondiale et la crise économique qui frappe les États-Unis en 1929.
L’ouvrage contribue ainsi à renouveler une historiographie un peu simpliste de la notion de stress, qui tend à en faire une pure construction sociale visant à individualiser et à dépolitiser les causes des maladies. En se penchant plus attentivement sur les travaux de Cannon et des chercheurs qui s’en sont inspirés, on voit au contraire comment une physiologie militante ont élaboré cette notion afin d’objectiver les causes sociales des maladies et, en définitive, fournir des bases scientifiques aux politiques sociales susceptibles de protéger la santé des citoyens.
Ce détour historique nous invite à questionner les effets sanitaires des crises actuelles – sociale, environnementale, politique et économique – ainsi que les stratégies tendant au démantèlement des politiques de protection sociale.

Quels sont vos projets d’écriture futurs ?
Le travail d’édition des conférences de Walter B. Cannon sur les émotions et l’homéostasie a été suivi d’une seconde étape : nous avons récemment réédité avec mon collègue Pierre-Nicolas Oberhauser la version française du livre le plus célèbre de Cannon, La Sagesse du corps (Éditions Matériologiques, 2024).
Plus généralement, ces travaux s’inscrivent dans une ligne de recherche que j’approfondis depuis une quinzaine d’années. Elle vise à retracer l’évolution des modèles de la régulation physiologique – homéostasie et allostasie, en particulier – qui, dans des contextes politiques spécifiques, ont permis de mettre au jour les facteurs sociaux qui façonnent les corps et les maladies.
Ma dernière contribution en date est un ouvrage à paraître en 2025 aux éditions Hermann. Dans cette histoire épistémologique et politique de l’épidémiologie sociale, j’analyse les conditions sous lesquelles le concept d’incorporation s’est progressivement imposé dans les sciences biomédicales contemporaines, trouvant un écho tout particulier dans le champ de l’exposomique.

Résumé de son ouvrage
Walter B. Cannon (1871-1945) est l’une des figures majeures de la physiologie moderne. Ces deux séries de conférences inédites qu’il délivre en français lors d’un séjour à Paris au début de l’année 1930, représentent un moment charnière dans son parcours intellectuel. Elles lui serviront de base à la rédaction de son ouvrage phare La sagesse du corps. Capitales pour l’histoire de la physiologie et de la médecine du 20e siècle, ces sources éclairent l’émergence du concept de stress, qui, avec les problématiques médicales et sociales qu’il soulève, trouve un écho particulier dans les sciences biomédicales contemporaines.
Walter B. Cannon. Conférence sur les émotions et l’homéostasie, Paris, 1930

Vincent Barras, auteur du livre Galien, Traités sur la composition des corps. Édition, introduction et notes. (2022)

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
La promesse que contient son titre a été le motif le plus impérieux : comment un médecin et philosophe tel que Galien, il y a près de deux mille ans, fort de son bagage culturel, scientifique et philosophique hérité de plusieurs siècles avant lui et de son expérience propre, envisage-t-il ce puissant mystère, la composition de nos corps : De quoi sommes-nous faits ? Comment assimilons-nous quotidiennement notre environnement immédiat (air, eau, aliments, éléments de la nature) ? Comment ces « corps étrangers » deviennent-ils notre corps au plus profond de notre chair. Òn comprend que le questionnement initial, d’ordre apparemment médical, s’ouvre vers une anthropologie tout entière.

Pour qui l’avez-vous écrit ? Quel est le lecteur que vous aviez en tête ?
En pleine conscience que son aspect relativement technique, que son langage issu d’un passé lointain, ne pourra pas intéresser immédiatement tout le monde, cet ouvrage a cependant été pensé pour un public le plus large possible : chacun.e, spécialisé en histoire et philosophie de la médecine ou non, est concerné, aujourd’hui aussi, par les questions fondamentales qui sont posées : des questions non seulement médicales et philosophiques, mais tout simplement existentielles.

Résumé de son ouvrage
Au sein de l’imposante production du médecin et philosophe grec Galien au 2e siècle de notre ère, les traités Tempéraments, Meilleure construction du corps, Bonne constitution, traduits pour la première fois en français, introduisent au problème de la composition des corps vivants. Cette réflexion débouche sur des questions fondamentales de philosophie et d’anthropologie : Quels sont les constituants premiers des corps ? Comment en définir l’équilibre, l’harmonie, la perfection ? En quoi l’aspect physique et les vertus de l’âme se correspondent-ils ? Au-delà des spécialistes de l’Antiquité, la lecture de ces traités concerne quiconque s’intéresse aujourd’hui aux rapports du corps, de l’âme, et de la communauté humaine.
Galien.Traités sur la composition des corps

George Makari, auteur de L’Âme Machine. L’invention de l’esprit moderne. (2023) (Titre original Soul Machine. The Invention of the Modern Mind, 2017)

What motivated you to write this book?
I wanted to rescue the rich debates about those three human essences, the soul, the brain, and the mind, from historical oblivion, and at the same time, demonstrate not just the philosophical, medical, and scientific contexts of these debates, but also the broader sociopolitical ones, especially as related to the mind’s central role in the construction of modernity.

How does your book fit into the field of medical and/or health history?
The book is unusual in its interdisciplinary breadth. Usually, the history of the making of the mind is considered only from a philosophical vantage point. I see it as very broadly cultural, and therefore demonstrate how it was a running thread in debates about religion and politics, as well as the birth of psychiatry, scientific psychology, and Romantic philosophy, to name but a few issues. And I think the book is also different in its depth, covering the way the mind emerged in the British and French Enlightenment as well as the German Counter-Enlightenment.

What contemporary issues does your book shed light on?
The dizzying rise of AI will challenge definitions of what makes us human. These debates will have potentially huge implications for secular societies and democratic political orders, as humans are increasingly seen as brains firing with no free will, and therefore no different from machines. This has happened before, and we should learn from that history. One lesson: there may be a return of that unholy alliance that I discovered in Ame-Machine, between hard-core neuro-reductionists and devout theologians, both of whom had motives for discrediting and eliminating the mind. And if that should happen, where would it leave liberal tolerance, citizens with rights to vote, the French “liberty, fraternity, and equality,” or the American “life, liberty and the pursuit of happiness”?  Machines have no such desires or rights.

Résumé de son ouvrage
L’Âme Machine décrit l’histoire de la naissance de l’esprit moderne, un processus issu d’une vive tension entre les défenseurs de l’âme et les protagonistes de la science moderne, adeptes d’une vision mécaniste de la vie intérieure. George Makari retrace ce parcours en mobilisant les figures centrales de la philosophie mais tout autant les anatomistes, les physiologues, les aliénistes ou encore les quakers. Son ouvrage, fresque vivante et richement argumentée, permet de saisir la place fondamentale des débats autour de l’esprit dans la constitution de la modernité occidentale.
L’Âme Machine. L’invention de l’esprit moderne.

Christiane Ruffieux, Les médecins qui comptent. Médecine populationnelle au 19e siècle à Genève. (2022)

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
Ma motivation pour écrire ce livre est venue de ma pratique de biostatisticienne. Dans les années 1990, le mouvement Evidence Based Medecine (EBM), ou médecine fondée sur les preuves s’est imposé, suscitant un vif débat autour de la question de la preuve en médecine. Les controverses qui s’en sont suivies ont éveillé mon intérêt pour cette question et pour son histoire. 

Quelle a été la principale difficulté rencontrée lors de vos recherches ?
Pour mener ma recherche, je me suis fondée sur les procès-verbaux des cinq sociétés médicales fondées à Genève dans la grande première moitié du 19ème siècle. Ces sociétés ont été créées par des médecins et chirurgiens désireux de partager leurs expériences, leurs doutes, leurs lectures. Mon corpus se composait ainsi de ces comptes-rendus des séances des sociétés, ainsi que des nombreux traités, articles ou mémoires publiés par ces praticiens. Trouver une méthode qui me permette de lier ces sources de nature très diverses a constitué une première difficulté. La seconde difficulté rencontrée a été bien sûr de déchiffrer ces anciens registres écrits à la main. Mais j’ai aussi découvert le plaisir difficile à expliquer qu’il y a se pencher sur un texte manuscrit. 

Quels sont les enjeux contemporains que votre ouvrage permet d’éclairer ?
De nos jours on assiste à une perte de confiance en la parole des scientifiques. Ceci est particulièrement marqué dans le domaine de la médecine. Dans mon livre, je me suis intéressée à la manière dont les médecins de la première moitié du début du 19ème siècle, confrontés à une multitude d’opinions contradictoires de la part des médecins les plus réputés, anciens ou contemporains, ont décidé de mettre ensemble leurs observations, leurs expériences et de les structurer. Ils aspiraient à plus de certitude, plus de consensus. En se mettant à la hauteur de ces praticiens, on comprend comment une méthodologie fondée sur une approche statistique s’est peu à peu imposée. Cette démarche répond au défi posé par la complexité de la toile des causalités qui sous-tend les phénomènes de la vie. L’irréductible individualité des malades, au-delà de leur maladie, fait qu’on ne peut juger de rien sur un cas particulier. Ni même sur une série de cas s’ils sont choisis sans méthode. 

Résumé de son ouvrage
Les médecins et chirurgiens genevois forment au 19e siècle une communauté originale. Ils partagent leurs succès et leurs doutes, s'efforcent d'améliorer la pratique médicale, développent pour ce faire des méthodes nouvelles. Cet ouvrage porte un regard inédit sur cette communauté. Il examine la place accordée aux nombres, qu'il s'agisse de convaincre des bienfaits de la vaccination jenné­rienne, de l'utilité d'un remède, de l'influence de la misère sur la longévité ou des bons effets de l'air des montagnes. Il vise à resti­tuer l'émergence d'une pensée populationnelle, devenue cruciale aujourd'hui dans la médecine et la santé.
Les médecins qui comptent. Médecine populationnelle au 19e siècle à Genève

Mariama Kaba, Une histoire de l'orthopédie. L'Hôpital orthopédique de la Suisse romande dans le contexte international (18e-21e siècle) (2018), L’Hôpital Riviera-Chablais (2019) et La Société Suisse d’Orthopédie et de Traumatologie au tournant du nouveau millénaire (2020).

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ces livres ?
Ma motivation à réaliser ces ouvrages vient de mon intérêt pour le décryptage des interrelations entre la science médicale, les stratégies institutionnelles et le contexte des politiques de santé.

Quelle est la découverte la plus surprenante que vous avez faite en travaillant sur ce projet ?
Dans le cadre de mes recherches effectuées pour les trois ouvrages publiés aux éditions BHMS, j’ai eu la grande chance d’interviewer des figures médicales et non médicales haut placées, ainsi que des professionnel.les de la santé et des secteurs associés. J’ai été touchée par ce partage d’expériences fait en toute confiance, dont j’ai énormément appris au niveau tant historique qu’humain. Ces interviews ont grandement contribué à ma compréhension des différents contextes concernés et à la complémentarité des archives écrites.

Comment, à votre avis, l’histoire de la médecine peut-elle nous aider à comprendre les défis de santé actuels ?
De la naissance à la fin de la vie, nous sommes toutes et tous confrontés, une fois où l’autre, aux institutions hospitalières ou à des décisions médicales. Si notre histoire personnelle nous permet, au quotidien, de nous construire et d’avancer dans la vie en (si possible) bonne santé, l’histoire de la médecine contribue, à l’échelle humaine, à développer une société qui, ayant conscience de ses fondements (l’histoire de la médecine), peut mieux réfléchir sur ce qu’elle veut pour son présent et son avenir en matière de santé.

Si vous deviez résumer chacun de vos livres en une seule phrase, quelle serait-elle ?
Une histoire de l’orthopédie :
« Une histoire de l’orthopédie » relate les stratégies institutionnelles d’un hôpital romand faisant face aux défis techniques et identitaires de la médecine sur près de 150 années.
L’Hôpital Riviera-Chablais :
Ce livre raconte la genèse de l’Hôpital Riviera-Chablais Vaud-Valais, inauguré en 2019, qui se construit dans une réflexion sur les enjeux médico-hospitaliers d’aujourd’hui et de demain.
La Société suisse d’orthopédie et de traumatologie : 
Ce livre souligne le rôle d’une société médicale dont la discipline est directement confrontée aux effets du vieillissement de la population, de l’augmentation des accidents, de la concurrence entre spécialités et des exigences des politiques de santé.

Quels sont vos projets d’écriture futurs ?
Dans l’immédiat, je rédige avec deux collègues une plaquette historique pour la Haute école de Santé de Genève qui va fêter ses 120 ans à la fin de l’année 2025.
Parallèlement, je mène une recherche sur la Société vaudoise de médecine en vue d’un livre sur son bicentenaire en 2029.

Si vous aviez à vous prononcer sur l’accompagnement que vous a offert l’équipe de BHMS que diriez-vous ?
Travaillant depuis une dizaine d’années à l’Institut des humanités en médecine de Lausanne, où sont aussi hébergées les éditions BHMS, j’ai apprécié la proximité et la disponibilité de l’équipe que je connaissais de longue date.

Pour vous, BHMS, c’est quoi en un mot (ou une expression) ?
Une édition à la fois scientifique et accessible, très variée dans ses contenus et ses formats.

Résumé d’Une histoire de l’orthopédie. L'Hôpital orthopédique de la Suisse romande dans le contexte international (18e-21e siècle)
À partir de l’histoire de l’Hôpital orthopédique de la Suisse romande, fondé à Lausanne en 1876, ce livre retrace les développements de l’orthopédie en tant que discipline et technique, depuis le milieu du 18e siècle jusqu’à nos jours. Par une mise en contexte de la situation de l’orthopédie en Suisse et dans les pays occidentaux, l’auteure aborde des questions d’identités professionnelles, de stratégies institutionnelles et de cultures médicales, dont l’histoire complexe fait écho aux problématiques actuelles de santé.
Une histoire de l’orthopédie. L'Hôpital orthopédique de la Suisse romande dans le contexte international (18e-21e siècle)

Résumé de L’Hôpital Riviera-Chablais
Alors que la dynamique des fusions hospitalières reconfigure en profondeur le paysage sanitaire suisse depuis plus d’une vingtaine d’années, l’Hôpital Riviera-Chablais, inauguré en 2019, et dont le statut intercantonal est unique à ce jour, en représente, à plus d’un titre, un des exemples les plus aboutis. Ce livre retrace, dans une démarche inédite, le long cheminement qui a conduit à l’ouverture de cet établissement hospitalier.
L’Hôpital Riviera-Chablais

Résumé de La Société suisse d’orthopédie et de traumatologie au tournant du nouveau millénaire
Le livre retrace l’histoire de la Société Suisse d’Orthopédie et de Traumatologie – swiss orthopaedics – dans le contexte médical et social des trente dernières années, marquées par une forte hausse des pathologies et accidents de l’appareil locomoteur due à la croissance et au vieillissement de la population.
​​​​​​​La Société suisse d’orthopédie et de traumatologie au tournant du nouveau millénaire​​​​​​​

 Dernière mise à jour le 23/04/2025 à 12:13