Izel Demirbas

La fabrique du "scientifique moral" à travers le discours sur l'éthique de la recherche médicale en Suisse (1968-2014), Philosophisch-historische Fakultät (Faculté des Lettres et Humanités), Université de Berne.

Thèse en cours, sous la direction d'Hubert Steinke, IMG, Unibe, et Aude Fauvel, IHM, CHUV-UNIL

Résumé:

Historiquement sujet à controverse et en proie aux fantasmes relatifs à la figure du « docteur fou », la réglementation de l’expérimentation médicale est toujours actuellement une thématique débattue. Si les principes déontologiques hérités de l’éthique philosophique classique, dont le Serment d’Hippocrate en est l’incarnation, suffisaient autrefois à gérer les relations entre médecins et patient.es, ils se retrouvent obsolètes, au courant du XXe siècle, au sein d'une société de plus en plus critique au regard des pratiques médicales. L'Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) a été fondée par Alfred Gigon (1883-1975) et Alexander von Muralt (1903-1990) en 1943 à Bâle avec l'aide de généreux donateurs privés et de "sociétés pharmaceutiques bâloises". A l'origine de ce projet se trouvent plusieurs facultés de médecine du pays, ainsi que la Fédération des médecins suisses (FMH). Le premier objectif est de "soutenir la recherche scientifique" et la "relève", notamment par des bourses, ainsi que des réseaux internationaux. Aujourd'hui, cette académie occupe encore une place importante et est très reconnue dans le domaine de l'éthique médicale en Suisse. En 1970, l'ASSM publie ses premières directives éthiques et déontologiques concernant les recherches expérimentales sur l'être humain, directives directement destinées à être utilisées dans la pratique médicale et largement inspirées de la Déclaration d'Helsinki I. Cette date marque le début d'un grand travail médico-éthique sur les questions relatives aux droits et aux devoirs des chercheurs et des patient.es. Au cours de la décennie qui suit les premières directives de l'ASSM, de nombreuses commissions et sous-commissions thématiques sont créées pour gérer les questions qui émergent en éthique de la recherche, mais aussi dans le soin.

En 1979, l'Académie crée la Commission centrale d'éthique (CCE-ZEK). Le travail de cette commission est très vaste et les sous-commissions thématiques doivent rendre compte de leur travail lors des réunions de la CCE et soumettre leurs projets de directives auprès du Conseil de l'Académie puis du Sénat. En 1992, une autre commission est créée : la Commission supra-régionale d'éthique (CES-UREK), qui s'occupe spécifiquement d'éthique de la recherche afin de pallier au manque de commissions d'éthique locales dans le pays. Les chercheurs sont en effet confrontés à des pratiques de plus en plus complexes, sans pour autant disposer d'un réseau organisé pour les aider.

Dès lors, comment est-ce que l'ethos médical, un "ensemble d'habitudes, de dispositions à agir, de méthodes pour juger de ce qui est bon, juste ou vrai", évoqué par les membres de l'ASSM, interagit-il avec les valeurs et revendications morales et politiques des acteurs externes ? Si une "éthicisation" de la médecine et de nos sociétés a eu lieu, comment le concept de recherche médicale a-t-il évolué ? Peut-on parler d'une évolution d'une "éthique médicale" traditionnellement philosophique vers une "éthique de la recherche" davantage axée sur des préoccupations bureaucratiques ? Y a-t-il au contraire un retour à une conceptualisation philosophique de la recherche scientifique ?

A travers ces questions, ce travail interrogera l'histoire de l'éthique médicale suisse sur les aspects suivants :
• Sur la question du « caractère expérimental », qui distingue les « corps expérimentaux »  des « corps malades »  : Qu'est-ce qui définit la catégorie d’ « expérimental » et qu'est-ce qui la distingue de la thérapie ? Quels sont les acteurs qui participent à la constitution de ces groupes et quels sont les enjeux politiques et sociétaux qui les ont fait évoluer, au fil des directives éthiques ?
• Sur le lieu de l'expérimentation et sa gouvernance éthique par les commissions. Est-il toujours constitué d'un « laboratoire », cet espace où l’on crée la preuve qui sera « la condition pour autre chose » ? Comment le laboratoire est-il délimité par rapport aux espaces cliniques ?
• Sur son inscription dans le discours historique des années 1970 sur la remise en cause des dynamiques de pouvoir en médecine : comment étaient discutés, dans l'éthique médicale, les « rapports de force »  entre expérimentateurs et expérimenté.es, selon qu'il s'agissait de sujets humains, d'embryons ou d'animaux ?
• Sur les relations entre la science et la société et le rôle des commissions d'éthique : peut-on parler de la discipline médico-éthique comme d'une institution scientifique isolée ou doit-on, comme le soutiennent certains historiens, la replacer dans un champ politique idéologiquement situé ? Comment le « devoir d'expérimenter »  des expérimentateurs a-t-il évolué dans ses contraintes morales et scientifiques vis-à-vis de la société ?

 

 

 

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 Dernière mise à jour le 21/11/2023 à 15:03