«En chirurgie, plus c’est simple, mieux ça marche!»

Grâce à la prise en charge ERAS, les patients bénéficient d’une meilleure qualité de vie avant, pendant et après leur opération. Entretien avec le Prof. Nicolas Demartines, chef du Service de chirurgie viscérale, membre du comité scientifique de l’ERAS®Society et précurseur dans l’essor de cette méthode de soins.

Qu’est-ce qui vous a amené à introduire ERAS au sein de votre service?
J’ai toujours été intéressé par l’amélioration des résultats en chirurgie. Pendant longtemps, on comptait sur des techniques et des stratégies opératoires innovantes, qui devaient bien sûr être acquises et maîtrisées. Mais celles-ci ne suffisent pas. Il est à présent prouvé qu’une prise en charge globale, qui commence avant l’intervention pour se poursuivre au-delà de la sortie de l’hôpital, améliore davantage la récupération du patient.

Cet aspect paraît simple en théorie, mais il a été souvent négligé. Pour cela, il faut une coordination et une collaboration entre les chirurgiens, les anesthésistes, les infirmières, les physiothérapeutes, les nutritionnistes et les stomathérapeutes.

Cette collaboration ne va-t-elle pas de soi?
Bien sûr! Mais ERAS représente un changement de paradigme. Il réexamine les pratiques en vigueur depuis des années pour réduire l’agression chirurgicale. Il vise à offrir une prise en charge plus douce, naturelle et respectueuse de la physiologie du patient. C’est pourquoi ERAS se base sur un protocole composé d’environ 20 mesures qui s’additionnent les unes aux autres tout au long du processus chirurgical.

Par exemple?
Auparavant, le patient entrait en salle d’opération à jeun, en ressortait avec l’interdiction de boire ou de s’alimenter et était gêné par de nombreux drains. Lorsque j’ai commencé à pratiquer la chirurgie colorectale en 1990, on en mettait sept dans le ventre du patient! Aujourd’hui, celui-ci reçoit des boissons énergétiques jusqu’à deux heures avant l’opération, mange et boit le soir même, ceci sans porter aucun drain, et il se lève immédiatement. Son système digestif se rétablit ainsi plus facilement et assimile plus rapidement la nourriture. Parmi les mesures ERAS, il faut aussi souligner le rôle de l’anesthésie, qui a connu des progrès considérables. Le nombre de perfusions de liquide est réduit au minimum et de nouvelles techniques permettent de diminuer les douleurs, mais également les nausées, qui ne sont jamais anodines.

Le protocole ERAS est une sorte de check-list…
En effet, comme les pilotes d’avion, nous avons tous un certain nombre de paramètres à valider. Attention, cela ne signifie pas que les patients sont pour autant laissés en pilotage automatique! Les mesures ERAS ne sont finalement pas très complexes. D’ailleurs, je dis toujours «en chirurgie, plus c’est simple, mieux ça marche!». La difficulté réside par contre dans leur implémentation, qui nécessite d’être systématique. Les chirurgiens, les anesthésistes, les infirmières et surtout les patients ont des missions précises à remplir. Mais grâce à un système d’audit, nous pouvons évaluer en temps réel si nous observons le protocole et évitons, par exemple, la multiplication d’examens inutiles.

La récupération des patients est ainsi directement liée au respect des mesures ERAS?
Il est prouvé scientifiquement que la conformité à ERAS réduit significativement les complications postopératoires. Les patients récupèrent mieux, ce qui entraîne un retour plus rapide à la maison, mais également un taux de réadmission de seulement 1%!

Le premier patient du CHUV à bénéficier d’une prise en charge ERAS a été opéré en mai 2011 déjà…
Oui, le CHUV fait figure de pionnier. Nous avons reçu ce patient pour une chirurgie du côlon. Puis nous avons étendu les principes ERAS à la chirurgie du rectum, du pancréas, du foie et nous débutons actuellement avec la chirurgie de l’œsophage et de l’estomac. Plus de 1500 patients ont été traités selon ce principe au CHUV depuis 2011. D'ailleurs, celui-ci est l’un des trois premiers centres européens à appliquer cette méthode de soins de manière systématique. De plus, nous avons favorisé l’implémentation d’ERAS dans de nombreux hôpitaux en Suisse, ainsi qu’en France et en Allemagne.

Les services de gynécologie et d’urologie du CHUV vous ont également emboîté le pas…
Exactement, pour un certain nombre d’interventions. Cela me réjouit qu’ils se soient engagés dans cette voie, d’autant plus qu’il n’existe pas de recommandations internationales publiées par l’ERAS Society sur lesquelles ils pouvaient se baser. Ils ont d’abord revu toute la littérature pour déterminer si certains points ERAS avaient déjà montré un bénéfice, puis ils ont adapté le protocole à leurs propres chirurgies. Cela démontre un changement important dans les standards de soins. Et récemment, la chirurgie thoracique a également commencé à appliquer les principes ERAS.

ERAS®Society

Le concept ERAS, ou Enhanced Recovery after Surgery, a été introduit en 2001 par un groupe de chirurgiens, qui a fondé depuis, en 2011, l’ERAS®Society. Basée en Suède, cette société a été créée dans le but d'unifier et de standardiser les pratiques de prises en charge par la rédaction de recommandations basées sur l'évidence. Celles-ci sont de plus en plus suivies au niveau international, principalement en chirurgie viscérale.

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 Dernière mise à jour le 16/07/2019 à 10:38