Grâce aux données récoltées sur plus de 5'000 volontaires, le Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) entend mieux connaître la fréquence des troubles du sommeil dans la population, mais aussi leur impact sur la santé. Entretien avec son co-directeur, le Dr Raphaël Heinzer.
Le CIRS est actuellement très engagé dans l’étude HypnoLaus. En quoi consiste-t-elle?
Cette vaste étude initiée en 2009 nous sert à explorer trois questions principales: les caractéristiques générales du sommeil dans la population, la fréquence des troubles du sommeil et leur conséquence sur la santé. Nous cherchons une association entre les troubles du sommeil et des pathologies comme le diabète, l’hypertension, l’attaque cérébrale ou encore les problèmes psychiatriques.
Combien de personnes participent à l’étude?
Pour l’heure, plus de 5'000 personnes ont rempli un questionnaire sur leur sommeil et plus de 2'000 ont bénéficié d’un enregistrement de leur sommeil à domicile. Pour mener cette étude, nous profitons du nombre élevé de volontaires qui participent à l’étude CoLaus sur les problèmes cardio-vasculaires, à laquelle nous avons ajouté un volet sommeil. L’étude devrait se terminer d’ici l’an prochain. Sa force est qu’elle se base sur une population générale et des technologies d’enregistrement digitales. Auparavant, les études portaient uniquement sur des personnes directement concernées par les troubles du sommeil. Or, pour évaluer la fréquence des anomalies, il faut d’abord établir quelles sont les normes du sommeil au sein de la population générale.
A quels résultats êtes-vous parvenus jusqu’à présent?
Plusieurs constats émergent déjà de cette étude. Par exemple, nous observons que les personnes mettent 17 à 18 minutes en moyenne pour s’endormir. Par ailleurs, la fréquence des apnées du sommeil est plus importante que ce que l’on pensait: elles touchent 9% à 14% des hommes et 3% à 6% des femmes entre 40 et 80 ans. Autre constat: un tiers des personnes interrogées se plaignent d’insomnies, ce qui confirme des chiffres déjà existants, et un cinquième prend au moins une fois par mois un médicament pour s’endormir, une proportion moindre en Suisse que dans les pays voisins. Enfin, nous observons une association significative entre la présence d’apnées du sommeil, l’hypertension et le diabète. Mais il faudra suivre les patients sur la durée pour le confirmer.
Le CIRS se spécialise justement dans l’étude des apnées du sommeil. Quels traitements avez-vous mis en place?
Nous essayons d’abord de comprendre les mécanismes qui mènent aux apnées du sommeil chez le patient, de façon à déterminer le traitement le plus approprié. Pour cela, nous stimulons les nerfs phréniques (les nerfs impliqués dans la respiration), ce qui reproduit l’effet d’une apnée du sommeil en situation d’éveil. Nous pouvons ainsi tester différents modes de traitement, par exemple la mise en place d’une prothèse qui agit sur la mandibule pour diminuer l’obstruction des voies aériennes. Nous testons également une caméra de reconnaissance faciale de pointe élaborée par le service d’anesthésiologie et l’EPFL: ce système innovant permet d’analyser des milliers de points sur le visage pour dépister la présence d’apnées du sommeil.
Un autre pôle de recherche du CIRS porte sur la narcolepsie. Quelles sont vos activités dans ce domaine?
La narcolepsie est une maladie impressionnante mais rare, avec une fréquence de 3 à 4 personnes sur 10'000 dans la population. Le co-directeur du CIRS, Mehdi Tafti, qui est professeur au Centre Intégratif de génomique de l’Université de Lausanne, et le Dr Haba Rubio analysent le registre européen des narcoleptiques. Dans ce cadre, nous essayons de déterminer les causes génétiques de cette pathologie.