
Actifs dans les coulisses, les laboratoires du CHUV jouent un rôle primordial dans la prise en charge des patient-es. Dans ce septième épisode, nous partons à la découverte des laboratoires du Service de chimie clinique avec la Dre Nazanin Sédille, médecin-cheffe de service. Interview.

Dre Sédille, pouvez-vous nous rappeler en quelques mots ce qu’est la chimie clinique et comment elle intervient dans la prise en charge des patient-es au CHUV ?
La chimie clinique est une discipline de la médecine de laboratoire qui mesure différentes molécules dans les liquides biologiques, principalement le sérum et le plasma, afin d’évaluer le fonctionnement des organes et de soutenir le diagnostic. Elle intervient notamment au moyen de bilans hépatiques et rénaux, de paramètres inflammatoires, de marqueurs cardiaques ou tumoraux, ainsi que de dosages hormonaux et vitaminiques. Un domaine clé est la spectrométrie de masse, qui permet de quantifier des molécules à des concentrations infimes dans le sang, l’urine, le liquide céphalo-rachidien ou d’autres matrices biologiques.
Comment sont organisés vos laboratoires ?
Le service s’articule autour de trois grandes unités aux missions complémentaires. La première regroupe les analyses de routine et d’urgence. Elle fonctionne en continu et fournit aux équipes cliniques des résultats rapides, généralement dans l’heure, en particulier pour les soins intensifs, les urgences et le contexte périopératoire.
















La deuxième unité est dédiée à des investigations plus ciblées, souvent réalisées manuellement ou par séries. Elle comprend, par exemple, l’étude des profils protéiques et immunologiques, certains marqueurs oncologiques ou endocriniens – dont le dosage peropératoire de la parathormone (PTH), une hormone vitale des glandes parathyroïdes – ainsi que la caractérisation de maladies neurodégénératives ou la contribution au diagnostic ciblé des trisomies 21 et 13/18, au 1er et 2e trimestres de grossesse.
La troisième unité est constituée d’instruments utilisant la chromatographie et la spectrométrie de masse. Elle permet des analyses de haute précision, notamment pour les acides aminés, les acides organiques, les profils stéroïdiens ou d’autres métabolites, et joue un rôle central dans le diagnostic des erreurs innées du métabolisme (EIM). A noter que le CHUV, y compris notre Service, est l'un des trois centres reconnus en Suisse par la KOSEK (ndlr. Coordination nationale des maladies rares) pour le diagnostic des EIM.












Et cela représente combien de personnes ?
Au total, 69 collaboratrices et collaborateurs – spécialistes FAMH, technicien-ne-s de laboratoire et personnel administratif – assurent le fonctionnement du service en lien étroit avec de nombreux départements cliniques.
Quel est votre volume d’activité ?
Chaque jour, nous traitons environ 2 500 échantillons provenant de plusieurs centaines de patient-es. Sur une année, cela représente plus de 500 000 patient-es pris-es en charge via la chimie clinique et plusieurs millions de résultats qui alimentent directement les décisions diagnostiques et thérapeutiques. Près de 55 % de cette activité concerne les patient-es hospitalisé-es, 45 % les patient-e-s ambulatoires du CHUV ou des partenaires externes. Cette activité soutient donc principalement la prise en charge au sein de la cité hospitalière.
La chimie clinique est une activité en continu. Comment s’organise la prise en charge des analyses 24/7 ?
La continuité repose sur une organisation claire. Les technicien-nes de laboratoire sont présent-es sur site 24h/24 pour assurer les analyses urgentes, superviser les instruments et préparer le pic d’activité du matin. Elles et ils peuvent, à tout moment, solliciter des spécialistes FAMH de piquet, disponibles en permanence pour répondre aux questions techniques ou biomédicales. Pour les situations nécessitant une prise en charge rapide dans le domaine des erreurs innées du métabolisme (EIM) – incluant la spectrométrie de masse – un piquet spécifique, assuré conjointement par des technicien-nes et des spécialistes FAMH, est activé.
Par ailleurs, le service assure la gestion d’un réseau d’une trentaine de gazomètres au CHUV, un dispositif diagnostique essentiel pour des analyses rapides. Ces appareils fournissent en quelques minutes des résultats déterminants lorsque des décisions immédiates sont nécessaires, par exemple en médecine d’urgence, en soins intensifs ou en contexte périopératoire. La formation des utilisateurs, le suivi de la qualité et la maintenance de ce réseau sont assurés par les équipes de chimie clinique.


Jusqu’à quel point vos processus sont-ils automatisés et quelles étapes restent encore fortement dépendantes de l’expertise humaine ?
La chimie clinique a largement bénéficié de l’automatisation, qui permet aujourd’hui d’absorber des volumes croissants tout en maintenant un haut niveau de qualité. De nombreuses étapes autrefois manuelles sont désormais automatisées et standardisées.
L’expertise humaine reste toutefois essentielle. Les technicien-nes réalisent les contrôles quotidiens, garantissent la fiabilité des analyses, identifient les anomalies que les systèmes automatisés ne peuvent pas interpréter et prennent en charge les examens plus complexes ou nécessitant un savoir-faire spécifique ainsi que la validation technique. Les spécialistes jouent un rôle tout aussi central en validant les résultats dans leur contexte biomédical, surveillant la qualité et s’assurant de l’adéquation des méthodes aux besoins cliniques.
L’automatisation n’élimine pas l’intervention humaine : elle la recentre sur l’interprétation, l’assurance qualité et le développement de nouvelles approches, tout en permettant d’absorber des volumes importants avec des ressources constantes.
« L’automatisation n’élimine pas l’intervention humaine, elle la recentre sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. »














Au-delà de l’activité de routine, quels sont les principaux axes de recherche et de développement ?
Nos activités de recherche couvrent des projets fondamentaux. Sous la responsabilité du Pr Olivier Braissant, nous étudions certaines maladies génétiques du métabolisme intermédiaire (EIM), notamment la déficience du transporteur de créatine, les atteintes du cycle de l’urée ou certains modèles de neurodégénérescence.
Nous sommes aussi en train de mettre en place une activité de recherche appliquée qui complète de manière ciblée la prise en charge clinique. Plusieurs projets sont en cours d’émergence afin de mieux accompagner, à l’avenir, les décisions diagnostiques et thérapeutiques – en étroite adéquation avec les besoins cliniques et en collaboration avec nos services partenaires.
Enfin, nous renforçons également notre participation aux projets de recherche clinique nécessitant une expertise analytique ou méthodologique. Enfin, nous explorons l’apport de la robotique pour automatiser certaines étapes encore manuelles, améliorer la sécurité analytique et libérer du temps pour des activités de haute valeur ajoutée.
La formation et l’enseignement occupent une place importante dans vos missions. Pouvez-vous nous décrire vos activités dans ce domaine ?
Nous assurons chaque année environ 250 heures d’enseignement et de travaux pratiques destinés aux étudiant-es de l’école supérieure de la santé (ESsanté) et aux étudiant-es de l’UNIL. Nous contribuons également à la formation continue des médecins praticiens via les cours AFCLP (ndlr. Attestation de Formation Complémentaire du Laboratoire du Praticien). Finalement, nous formons les candidat-es FAMH dans le cadre de leur formation postgraduée FAMH.
En collaboration avec la Direction des soins et le Service d’hématologie, nous avons lancé un programme pilote consacré à la phase pré-analytique – prélèvement, identification, transport – où surviennent près de 70 % des erreurs. Ce projet, à destination du corps soignant, vise à renforcer la compréhension des étapes critiques avant l’analyse et à améliorer la sécurité des patient-es. Nous souhaitons développer davantage ces activités, notamment pour les médecins assistant-es, avec des ateliers dédiés à la prescription et à l’interprétation des examens de laboratoire.








Quels sont, selon vous, les principaux défis qui attendent la chimie clinique dans les prochaines années ?
Les principaux défis rejoignent ceux de l’ensemble de la médecine de laboratoire. Le premier concerne la pénurie de personnel qualifié, qui rend le recrutement et la fidélisation toujours plus difficiles alors que les besoins diagnostiques augmentent. Cette réalité peut avoir un impact direct sur la continuité et la sécurité de l’offre analytique.
Un deuxième enjeu est la digitalisation, qui offre de réelles opportunités lorsqu’elle est développée en étroite collaboration avec les professionnel-les concerné-es. Elle permet d’harmoniser les processus, de renforcer la qualité et d’améliorer l’efficience tout au long de la chaîne diagnostique.
Un troisième point concerne l’importance croissante d’une utilisation responsable et ciblée des ressources diagnostiques. Les institutions de santé doivent concilier une prise en charge de haute qualité avec une utilisation efficiente des moyens disponibles. Pour la chimie clinique, cela implique d’optimiser en continu les processus et d’explorer des approches innovantes, afin de garantir des résultats fiables, rapides et cliniquement exploitables.
« La chimie clinique agit en coulisses, mais ses résultats sont au cœur de la plupart des décisions diagnostiques. »
Pour conclure, s’il y avait un message que vous souhaiteriez transmettre aux équipes cliniques et aux patient-es à propos de la chimie clinique, lequel serait-ce ?
La chimie clinique agit souvent en coulisses, mais ses analyses sont au cœur de nombreuses décisions diagnostiques et thérapeutiques. Je remercie les équipes cliniques pour le dialogue constant et la collaboration quotidienne. Notre ambition est de fournir des résultats fiables et cliniquement pertinents, et d’accompagner les équipes dans l’utilisation optimale des données de laboratoire – qu’il s’agisse de préciser un diagnostic, d’évaluer un risque ou de suivre un traitement complexe. Ensemble, nous pouvons faire évoluer les connaissances cliniques, développer des solutions pratiques et efficientes, et renforcer la contribution du CHUV à l’évolution des soins. La chimie clinique se veut une partenaire engagée avec l’ensemble des services, aujourd’hui comme pour la médecine de demain.
Propos recueillis par Franco Genovese
Photos: © CHUV/Alain Ganguillet