Réalisé à base de cellules dendritiques issues du système immunitaire du patient, les vaccins contre le cancer du pancréas font l’objet d’une étude clinique suscitant l’intérêt de la communauté scientifique internationale. Les premiers patients qui en bénéficient ne rencontrent que peu d’effets secondaires, ce qui permet la poursuite du projet.
Inauguré officiellement en juin 2022, le Centre des tumeurs foie-pancréas du CHUV rassemble les différent-e-s spécialistes utiles au traitement des cancers atteignant les voies digestives. Parmi les projets innovants du Centre figure la conduite actuelle d’une étude clinique portant sur un vaccin personnalisé pour le cancer du pancréas. Cette étude clinique, dite de phase « 1b », porte sur un traitement qui n’est actuellement pas autorisé dans les protocoles de soins standards et qui est proposé à des patients humains pour la première fois.
Cette phase préliminaire d’étude permet de tester la toxicité et la faisabilité d’un nouveau traitement sur un très faible nombre de patient-e-s. Dans le cas de ce vaccin pancréatique, il est prévu d’inclure douze personnes. « L’étude a été ouverte en 2021 et nous avons actuellement pu recruter six patients. Nous espérons avoir identifié l’ensemble des participants d’ici environ un an », détaille la Dre Antonia Digklia, responsable de sa conduite.
S’il est trop tôt pour présager de l’efficacité du vaccin sur le système immunitaire, le projet vient tout de même de passer un cap encourageant : un comité indépendant, appelé IDSMB, a évalué positivement les résultats intermédiaires portant sur les quatre premiers participant-e-s. Ce comité a notamment confirmé l’absence de toxicité particulière du vaccin étudié, permettant de ce fait de poursuivre le recrutement d’autres patient-e-s. Les spécialistes ont également exprimé curiosité et intérêt pour ce projet – qui permettra aux oncologues de Suisse et d’ailleurs d’en apprendre plus sur le comportement de ces cancers et sur leur réaction aux traitements proposés.
L’étude propose en effet de combiner un vaccin personnalisé à un traitement par nivolumab – un anticorps contribuant à activer le système immunitaire contre la tumeur – et à une chimiothérapie standard. Elle s’adresse spécifiquement à des patient-e-s présentant un cancer du pancréas non-métastatique opéré au préalable. « Aucun nouveau médicament n’a été mis sur le marché pour les cancers avancés du pancréas au cours des dernières années. Notre étude contribuera donc à faire progresser la recherche sur le long terme – notamment concernant la meilleure façon d’intégrer l’immunothérapie aux traitements standards existants, estime la Dre Antonia Digklia. Nous faisons en effet l’hypothèse que la combinaison de ces traitements pourrait contribuer à prévenir la récidive du cancer du pancréas. » L’enjeu évoqué par la Dre Digklia revêt une importance d’autant plus forte que les cancers du pancréas sont réputés particulièrement agressifs – avec un risque de récidive élevé 2 à 3 ans après l’opération.
La production du vaccin débute par une opération standard de résection du cancer – elle aussi réalisée au CHUV, par les spécialistes de la chirurgie hépatobiliaire et pancréatique du Centre – la Dre Emilie Uldry et le Dr Emmanuel Melloul. Elle permet non seulement de retirer la tumeur du patient mais aussi d’en prélever certains fragments afin de débuter le processus de fabrication, réalisé sur mesure pour chaque personne. Celui-ci est effectué en grande partie sur le site du Biopôle d’Epalinges – où opèrent les équipes de production du Centre des thérapies expérimentales (CTE) du Département d’oncologie UNIL CHUV.
Ce vaccin d’un genre très particulier se compose de cellules dendritiques – un type de globules blancs impliqués dans la réponse immunitaire du patient, qui sont isolés du sang par une technique appelée leucaphérèse puis cultivés en laboratoire – combinées à des fragments de protéines (les peptides) eux aussi spécifiquement identifiés dans la tumeur du patient. Ces peptides, une fois sélectionnés en fonction de leur potentiel thérapeutique, sont produits de façon synthétique au CTE également. Le vaccin ainsi fabriqué pourrait, au terme de l’étude en cours, s’avérer capable d’induire une réponse immunitaire ciblée contre la tumeur – voire de la détruire, en synergie aux autres traitements tels que la chimiothérapie et l’immunothérapie.
Didier, 51 ans et domicilié sur le canton de Fribourg, avait déjà été suivi au CHUV il y a une dizaine d’années pour un autre cancer métastatique, dont il a guéri. En septembre 2021, on lui diagnostique un nouveau cancer – au pancréas cette fois-ci. De par ce long parcours de soins, il a développé un fort lien de confiance avec les équipes du Centre : « La prise en charge proposée au CHUV est très professionnelle et présente à mon avis de nombreux avantages : on peut y faire appel à tous les spécialistes indiqués, sans devoir s’encombrer de faire circuler son dossier d’une institution à l’autre, comme c’est parfois le cas dans le privé. La coopération y est beaucoup plus efficace et la culture collaborative développée entre les différents services m’y semble excellente », résume Didier.
Désireux de poursuivre son activité professionnelle en tant que gestionnaire de fortune pour une grande banque suisse, Didier travaille actuellement à 75% – sans avoir sollicité d’arrêt maladie après la phase d’intervention chirurgicale. Musicien et sous-directeur d’un orchestre d’harmonie, skieur invétéré, il tient également à ses loisirs sportifs et artistiques. Il a ainsi rapidement accepté de participer à l’étude portant sur le vaccin pancréatique de la Dre Digklia : « J’étais heureux d’être éligible. Ce vaccin personnalisé m’est apparu comme un espoir de plus de pouvoir faire des progrès dans la lutte contre la maladie – et de continuer à profiter de la vie le plus longtemps possible ».
Didier s’est avéré être un bon candidat pour une telle vaccination puisque les fragments de tumeur prélevés lors de son opération ont permis d’identifier des peptides uniques, exprimés spécifiquement en relation au tissu cancéreux, et de produire sur cette base de multiples doses de vaccin personnalisé. Ces vaccins lui seront administrés jusqu’au mois de janvier 2023. « En comparaison à la chimiothérapie, je ne ressens aucun effet secondaire après l’administration du vaccin », explique Didier.
Aux côtés de la Dre Antonia Digklia, il pourra désormais aussi compter sur l’accompagnement de Céline Yerly, désignée infirmière référente du Centre des tumeurs foie-pancréas depuis le mois de janvier 2021. Avec sa collègue Joëlle Ho (en congé maternité au moment de notre reportage), elle a développé un modèle de prise en charge infirmière spécifique aux patients de ce nouveau Centre. « Nous avons préparé des outils spécifiques au Centre des tumeurs foie-pancréas afin de pouvoir ensuite interagir rapidement avec les patient-e-s et répondre efficacement à leurs différents besoins – notamment en leur proposant des adresses, des éléments d’orientation ou l’accès à des personnes ressources », explique Céline Yerly.
Au moment où nous les laissons à leur entretien, Didier relate à Céline Yerly la façon dont se sont déroulées sa dernière hospitalisation et ses séances de chimiothérapie. Il aborde ensuite des questions de nutrition et d’autres préoccupations en lien avec son intervention chirurgicale. Forte de ces éléments, Céline Yerly s’attèlera à l’orienter vers des spécialistes compétent-e-s, par exemple pour obtenir des conseils diététiques adaptés à sa situation.
Le rôle des infirmier-ère-s référent-e-s de centre est déterminant dans le modèle de prise en charge des Centres interdisciplinaires d’oncologie du CHUV. Le personnel infirmier spécialisé y assure une fonction d’accompagnement et de conseil auprès des patient-e-s et de leurs proches tout au long de la trajectoire de soins. Cela permet de les accompagner plus personnellement dans leur acceptation de la maladie et de les soutenir dans les informations et décisions relatives à leur situation clinique. Lors de l’annonce de mauvaises nouvelles, les infirmier-ères référent-e-s de centre veillent ainsi à la bonne compréhension des informations reçues sur la maladie et les traitements proposés. Une évaluation clinique réalisée lors des consultations conjointes entre personnel médical et infirmier permet de cibler ces besoins ainsi que de mettre en place les interventions et le suivi requis, par exemple par l’orientation vers des professionnels spécialisés. Pour en apprendre plus sur le rôle d’infirmier-ère référent-e de centre, découvrez l’interview de Stefania Manciana, Infirmière cheffe de services pour les Centres interdisciplinaires en oncologie.