Interview competence magazine

Pr Manuel Pascual

 

Quels ont été les progrès des dernières décennies? Quel sera l'impact du vieillissement de la population? La xénotransplantation et les organes artificiels seront-ils des alternatives aux dons d'organes? Le point avec Manuel Pascual.

 

Sur le plan médical, la transplantation d'organes et de tissus a-t-elle beaucoup évolué ces deux dernières décennies?
Les principales avancées ont eu lieu dans l'optimisation des traitements immunosuppresseurs et dans la prévention des maladies infectieuses. Pour prévenir le rejet de la greffe, des combinaisons de médicaments très performantes ont été trouvées et leurs dosages ont été finement adaptés pour limiter les effets secondaires. Quant à la prévention des infections, elle a été améliorée par l'utilisation de nouveaux médicaments, à des dosages idéaux pour éviter leur toxicité. Ce sont des progrès moins spectaculaires que la découverte de la cyclosporine dans les années 1980, mais ils ont considérablement amélioré les résultats et allongé la durée de vie des organes et des patients.

 

Pendant que la durée de vie de la population s'allongeait aussi globalement... Le vieillissement de la population a-t-il un impact sur le nombre de transplantations?
Ce sera un problème important pour les deux prochaines décennies. La transplantation est victime de son succès. Nous avons pu élargir le nombre de patients susceptibles de recevoir une greffe et nous faisons régulièrement des greffes à des patients de plus 65 ans, ce qui était très rare autrefois. Mais les donneurs deviennent aussi plus âgés et les organes sont parfois de moindre qualité, en raison de comorbidités dues à l'âge chez les donneurs.

 

Dans ces circonstances, quels sont les moyens d'augmenter le nombre de greffons disponibles et de bonne qualité?
Il faut une organisation idéale au niveau suisse et un fonctionnement optimal du réseau régional de don d'organes, une bonne formation dans les hôpitaux et une identification efficace des organes disponibles. Cela représente une grande part du travail de Swisstransplant et des cinq réseaux régionaux de don d'organes, avec leurs hôpitaux, leurs soins intensifs et leurs coordinateurs du don et de transplantation, qui ont permis de professionnaliser les procédures. C'était aussi un objectif prioritaire du plan d'action du Conseil fédéral «Plus d'organes pour les transplantations», ceci depuis 2013.

 

Ce plan d'action a-t-il porté des fruits?
On peut se réjouir parce qu'on remarque depuis quatre à cinq ans une légère augmentation du nombre de transplantations, grâce à une meilleure identification des donneurs d'organes décédés. En 2019, Swisstransplant a ainsi enregistré 582 transplantations, soit environ 80 de plus que les années précédentes. Toutefois, il y avait 1415 patients en attente et 46 sont décédés. Les proportions restent relativement stables: chaque année, environ un tiers des patients en attente seront greffés et deux tiers resteront sur la liste d'attente, avec une issue fatale dans environ 50 à 70 cas.

 

La Suisse a pourtant la réputation d'être en queue de peloton des pays européens dans le nombre de dons d'organes?
Je ne partage pas cette affirmation. Grâce aux mesures prises par Swisstransplant et l'Office fédéral de la santé publique, nous avons amélioré et continuons à améliorer l'organisation du système des dons d'organes. En outre, en Suisse, environ 40% des greffes rénales sont réalisées grâce à des donneurs vivants et nous avons augmenté le pool de donneurs décédés de 25 à 30% en développant depuis 2016 le programme de donneurs à coeur arrêté. Enfin, la Suisse utilise bien les donneurs décédés: nous prélevons plus d'organes par donneur (3,5 en moyenne) que d'autres pays où le nombre de donneurs est plus élevé, mais où moins d'organes par donneur sont prélevés.

 

Alors quel est le problème?
Le problème, c'est que toutes les mesures pour augmenter le nombre de donneurs prennent beaucoup de temps, souvent des années, comme dans d'autres pays. Les dons d'organes vont augmenter en Suisse, c'est probable. Mais la complexité sera alors ailleurs, notamment dans l'âge des donneurs et la qualité des organes, qui peut être affectée par les comorbidités.

 

Peut-on espérer alors que des organes artificiels pourront remplacer à l'avenir des organes humains?
Des progrès énormes ont été faits en matière d'organes artificiels. On peut citer notamment les assistances ventriculaires dans l'attente d'une transplantation cardiaque, ou encore les systèmes d'oxygénation aux soins intensifs dans l'attente d'une greffe de poumon. Pour les cœurs, cela peut durer quelques jours ou semaines, parfois même des années. Toutefois, après des issues fatales, la France avait dû suspendre son étude avec des coeurs artificiels implantés et les perspectives de ce projet pilote sont encore incertaines. Des greffes rénales pourront peut-être aussi être évitées dans le futur grâce au développement de dialyses implantables. De même, il sera éventuellement possible d'implanter des cellules encapsulées pour produire de l'insuline à la place du pancréas. Ces recherches sont très intéressantes; elles prennent du temps mais elles laissent espérer des avancées significatives ces 20 prochaines années.

 

La xénotransplantation peut-elle devenir une alternative plausible?
Il faut être prudent en ce qui concerne les xénogreffes à partir de porcs génétiquement modifiés. Des progrès étonnants ont été faits mais on est encore seulement au stade pré-clinique et les rejets restent difficiles à traiter. On attend de voir les éventuels premiers essais cliniques, probablement aux Etats-Unis ou en Chine. Des progrès seront peut-être plus rapides en ce qui concerne l'implantation de cellules souches, humaines ou porcines, par exemple pour prévenir la détérioration des organes et éviter une future transplantation.

 

L’initiative populaire et le contre-projet sur le consentement présumé visent à améliorer le nombre de donneurs. Est-ce le bon moyen?
Le registre de Swisstransplant compte environ 80 000 donneurs et je trouve le contre- projet sur le consentement présumé très bien. S'il passe, il permettrait de vérifier avec la famille les réelles volontés du défunt. Par exemple, l'Espagne et la France, qui pratiquent déjà le consentement présumé, ne forcent pas le don d'organes si la famille y est opposée, ce qui est normal.

 

Faut-il envisager aussi d'autres mesures?
L'essentiel, c'est de très bien informer la population. Il faut continuer à prendre des mesures et du temps pour diffuser une information de qualité. Le sujet est très délicat mais doit devenir un sujet de conversation naturel. Dans neuf cas sur dix, les gens sont prêts à être greffés, les refus sont très rares. Mais les transplantations dépendent des organes disponibles, donc les receveurs et les donneurs vont de pair. Comme médecins de transplantation, nous vivons des situations très satisfaisantes dans la majorité des cas, nous voyons souvent des nouvelles perspectives, une nouvelle vie s'ouvrir pour le patient et ses proches après une greffe. Mais nous avons besoin de l'adhésion de la population: il faut que les gens comprennent que la médecine de transplantation dépend directement des donneurs d'organes.

 

Interview
par Marie-Claire Chamot
Source: Competence magazine

 Dernière mise à jour le 07/12/2020 à 16:40