Le manque d’empathie d’une mère impacte la santé mentale de son enfant

Publié par Bovet Remund Virginie le 03.02.2022

Une étude menée par le SUPEA montre que les mères atteintes d’un trouble de stress post-traumatique suite à une agression interprètent mal les émotions de leurs enfants, une difficulté associée à l’agressivité et à la dépression de leurs enfants.

Communiqué rédigé par NCCR-Synapsy

Lorsqu’une enfant est exposée à la violence interpersonnelle, comme un viol, elle peut développer un trouble de stress aigu appelé le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et transmettre ce traumatisme à ses futurs enfants pendant une période du développement cérébral sensible pour l’acquisition de compétences socioémotionnelles.

Pour tenter de briser cette chaine de transmission, les chercheurs et les chercheuses du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) du Département de psychiatrie CHUV-UNIL, soutenu.e.s par le Pôle de recherche national Synapsy, ont examiné l’influence de ces mères sur la capacité émotionnelle de leurs propres enfants. Soixante et un duos mères-enfants ont participé à cette étude pour un suivi de près de 11 ans.

Les résultats, à lire dans la revue European Journal of Psychotraumatology, montrent que les mères atteintes d’un TSPT sont moins capables de se mettre à la place de leur enfant lorsqu’il s’agit de comprendre ou prédire leurs émotions. Cette difficulté maternelle est associée avec des troubles comportementaux comme l’agression, et des troubles de l’humeur comme la dépression, chez leurs enfants. Ces résultats indiquent qu’il est important d’intervenir tôt avec les mères traumatisées pour qu’elles renforcent leurs liens aux autres et réduisent ainsi le risque de provoquer des psychopathologies chez leurs enfants.

« Les violences domestiques sont très courantes en Suisse, en 2019 plus de 19’000 infractions ont été enregistrées dans le contexte de la violence domestique et beaucoup ne sont pas rapportées­­. De plus, elles n’ont fait qu’augmenter pendant la pandémie COVID-19 » déclare Daniel Schechter, médecin adjoint au Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) du Département de psychiatrie du CHUV, professeur associé à l’UNIL et chercheur au Pôle national de recherche Synapsy. Ces violences, viols ou lésions corporelles, comprennent celles entre partenaires, entre parents et enfants au sein de la famille élargie et les victimes sont majoritairement des femmes. Beaucoup vont développer des maladies psychiatriques liées au stress engendré par leur vécu, dont le trouble de stress post-traumatique qui se caractérise par une dysrégulation émotionnelle et physiologique et une vigilance aux émotions négatives. Selon les travaux de recherche antérieurs de Daniel Schechter, les femmes traumatisées transmettent souvent leurs troubles à leur progéniture.

L’objectif de cette nouvelle étude est d’examiner comment le trouble post-traumatique lié à la violence interpersonnelle chez les mères affecte leur capacité à prédire la compréhension émotionnelle de leurs enfants et si cela influe sur la santé mentale de ces derniers.

Une dimension longitudinale unique en son genre

Soixante et une mères, dont trente-six avec un TSPT développé suite à des violences interpersonnelles, et leurs soixante et un enfants ont participé à cette étude. Si l’âge moyen des enfants se situe à 7 ans, le suivi de ces couples mères-enfants dure depuis plus de 11 ans afin de comprendre, à travers une suite d’études effectuées dans le cadre de Synapsy, toute l’étendue de l’influence du traumatisme des mères sur le développement comportemental de leurs enfants.

Mauvaise lecture des émotions

Les mères ont effectué un test de compréhension des émotions. « Une image d’une situation dramatique est montrée, par exemple une tortue gisant sur le dos au fonds d’un bocal. En parallèle, quatre visages représentant des émotions de colère, de tristesse, de joie ou de passivité sont présentés aux mères. Elles doivent imaginer quelles émotions parmi les quatre, ressentirait leur enfant en voyant la scène dramatique », précise Dominik Moser, chargé de recherche au Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) du Département de psychiatrie du CHUV et à l’Université de Berne, et co-auteur de l’étude.

Les mères exposées à la violence avec un TSPT ont des performances réduites à ce test comparé aux mères ayant également subi des violences, mais qui n’ont pas développé de TSPT. « Certaines mères avec un TSPT pensent que les enfants vont rire en réponse à une tortue morte dans son bocal », ajoute-t-il avant de poursuivre « ces résultats montrent que les mères avec un TSPT n’arrivent pas à se mettre à la place de leur enfant, elles n’ont pas d’empathie. Cette difficulté peut être dangereuse, car leurs enfants seront perturbés dans leur apprentissage des émotions ».

Une progéniture impactée

Dès lors, les chercheur.euse.s ont effectué le même test aux enfants pour connaître l’impact de cette déficience émotionnelle maternelle sur leur propre interprétation des émotions. Les enfants, pour leur part, ne montrent aucune différence entre les deux groupes. Par contre, en analysant leur humeur et leur comportement, l’équipe de recherche a pu démontrer qu’il existait un lien fort entre l’incapacité à prédire les émotions des mères avec un TSPT et les comportements agressifs et/ou dépressifs de leurs enfants.

« Ce sont des informations importantes pour prévenir la santé mentale des enfants des mères traumatisées. Grâce à cette cohorte mère-enfant et à nos divers travaux, nous avons pu montrer qu’une intervention sur la maman, lorsque ses enfants ont de un à trois ans, avait une influence positive sur la santé des enfants », indique Daniel Schechter. Il est important de préciser que la présente étude concerne des enfants de sept ans puisque les symptômes comportementaux apparaissent plus tard aux yeux des clinicien.ne.s. Le moyen d’intervention précoce évoqué fait référence à une nouvelle technique de thérapie basée sur la vidéo appelée CAVEAT. « Des scènes d’interaction entre les mères et les enfants sont montrées aux mères, et nous les aidons à développer leurs compétences émotionnelles sur cette base. Les résultats très encourageants ont fait l’objet de plusieurs publications et sont en en passe d’être validés comme nouveau traitement », se réjouit Daniel Schechter.

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 Last updated on 21/02/2022 at 16:57