Service des urgences, 7h00. François Decaillet collecte des informations sur les arrivées de la nuit. La situation est critique: près d’une vingtaine de patients arrivés aux urgences en fin de nuit ont besoin de rester hospitalisés. Le nombre de places appropriées est limité sur les 1’000 lits somatiques que compte le CHUV. Infirmier cadre responsable de la Gestion des flux de patients, François Decaillet sait que des solutions devront être trouvées très vite.
Interview réalisée en février 2017.
Toutes les journées commencent-elles ainsi au CHUV?
Heureusement non. Il y a quelques années, nous vivions cette situation presque tous les lundis matins parce que peu de patients quittaient le CHUV le week-end. Comme nous avons entrepris beaucoup d’efforts dans nos services et avec nos collègues des soins à domicile, c’est devenu plus rare. Mais nous sommes actuellement sous le coup d’un phénomène saisonnier, la grippe, qui affecte de manière grave les personnes déjà fragilisées dans leur santé et mobilise massivement les chambres isolées dont nous disposons.
Pourtant il faut bien pouvoir hospitaliser les patients qui arrivent chaque jour au CHUV, non?
Oui bien sûr, et c’est la raison d’être de cette petite mais indispensable structure qu’est la Gestion des flux de patients. Pour les patients dont la situation est la plus critique, nous trouvons toujours des solutions. D’autres sont réorientés vers des hôpitaux et cliniques du réseau parce que leur état de santé ne nécessite pas impérativement l’intervention du centre universitaire. Et la réciproque est vraie aussi, puisque ces mêmes partenaires nous adressent des patients en cas de besoin. Chacun doit pouvoir accéder à des soins adaptés à son état de santé et personne n’est refoulé à l’entrée de l’hôpital!.
En quittant la réunion aux urgences, quelles mesures allez vous prendre?
Je complète l’état des lieux avec un brief aux soins intensifs. Puis à 8h45, je rencontre les infirmier-e-s chefs d’unité de soins de médecine et chirurgie qui représentent 29 unités d’hospitalisation. A 9h, nous avons réuni toutes les informations qui permettent d’organiser les flux. A partir de là, avec les infirmières coordinatrices de mon équipe, nous nous consacrons à orienter les patients des urgences et soins intensifs vers les unités de soins les plus pertinentes, à faciliter l’échange d’information entre soignants des différents services et tenter de lever les éventuels bouchons qui peuvent survenir ici et là. Un nouveau point de situation est réalisé en début d’après-midi.
Ces mesures suffisent-elles en cas de crise?
Au CHUV, nous avons un tableau de bord avec quatre niveaux d’engorgement.
Si le niveau le plus élevé est atteint, une cellule de crise est activée, qui réunit la Direction des soins, la Direction médicale, les chefs de service des urgences et des soins intensifs ainsi que des représentants des services de médecine et chirurgie. Nous décidons ensemble de mesures pour rétablir l’équilibre pouvant aller jusqu’à des annulations opératoires ou le rétablissement provisoire de la mixité dans les chambres. Et puis, nous collaborons étroitement avec le Service de la santé publique qui peut lui aussi déclencher des mesures mais à l’échelle de tout le canton cette fois-ci.
Mais n’aurait-il pas été possible d’anticiper?
Notre travail est à 90% un travail d’anticipation, où ce qui est entrepris vise à éviter les engorgements critiques. Le travail de fond, c’est l’élaboration des procédures qui permettent à chaque maillon de la chaîne de connaître parfaitement son rôle, ce sont les plans de mesures hivernales élaborés chaque année avec six mois d’anticipation et soumis au Conseiller d’état, ou encore la recherche de solutions durables pour les patients qui attendent au CHUV une place en réadaptation ou en EMS. Sur ce dernier point, notre bonne collaboration avec le Service de la santé publique exerce même un effet direct sur les constructions de nouvelles structures.
Quelle est la cause de ce phénomène d’engorgement récurrent des structures de l’hôpital universitaire?
La situation du CHUV est particulière dans le sens où il est à la fois l’un des cinq centre hospitaliers universitaires suisses et l’hôpital de proximité pour la région de Lausanne. Et même si le nombre de lits augmente au fil des ans, la pression démographique est très forte et les moyens limités.
Le Canton de Vaud entame toutefois une transition en profondeur vers un modèle où l’hôpital ne doit plus être dans tous les cas une étape incontournable. A l’échelle du système sanitaire, chacun doit pouvoir apporter pleinement sa contribution. Cela concerne notamment les médecins installés, les soins à domicile, les EMS, les CTR, les hôpitaux et cliniques et, bien sûr, le centre universitaire. Pour en garantir l’accès à tous, les prestations qui relèvent de la médecine hautement spécialisée doivent être prioritairement réservées à celles et ceux qui en ont réellement besoin et qui en bénéficient le plus. Heureusement, nous ne travaillons pas seuls et la collaboration entre les partenaires du canton est bonne, merci à eux!